Et si on bricolait ?

Quand on n'a pas appris à bricoler, on n'ose pas parce qu'on a peur de tout casser ou de ne pas savoir faire. Lorelei nous parle de son parcours avec le bricolage et partage son constat que ça peut être à la portée de tout le monde.

« La tech, c’est pas pour moi. »

Même si, ado, je bidouillais avec les codes CSS et HTML et ce qui se passait visuellement sur une page web selon ce qu’on lui demandait, que je m’intéressais aux logiques derrière différents langages informatiques pour avoir une idée de comment ça marche, que j’ai des bouquins sur qu’est-ce qu’un logiciel que j’ai récupéré juste pour le fun, que j’ai mis le nez dans Unity parce que je voulais créer mes jeux vidéo et que quand on me dit « je bosse dans la tech » ou « je bosse dans l’informatique » je demande toujours « oui mais tu fais quoi exactement ? Explique-moi. »

J’en ai plusieurs, des copines qui sont ou ont été dans la tech, mais en 2009, quand j’ai dû choisir quoi faire comme études, ce n’est même pas quelque chose qui m’est passé par l’esprit.

« Le bricolage, c’est pas pour moi ».

Même si j’aime comprendre comment marchent les choses et que j’aime bien faire des trucs de mes mains.

On se demande bien pourquoi.

Ça m’a pris du temps d’analyser ce qui me retenait.

Au tout début, c’était inimaginable de faire du bricolage : déjà parce que je viens d’une famille aisée qui rachetait les choses cassées plutôt que de les réparer. Je n’ai pas vu, enfant, qu’on pouvait prendre le temps de se pencher sur la question et de la régler soi-même. Les pros, eux, étaient toujours des hommes. C’étaient eux qui savaient construire. Mais quand j’ai coupé les ponts et que j’ai commencé à me débrouiller seule, dans la précarité, c’est devenu primordial.

Et si j’essayais, au moins ?

« Oui, mais c’est dangereux »

J’avais peur. J’allais faire des bêtises. J’allais m’électrocuter si je changeais une ampoule même en coupant l’électricité et causer une inondation planétaire si je dévissais un robinet. J’allais encore plus casser ce que j’essayais de réparer et il ne serait plus du tout utilisable, au lieu de mal utilisable, et j’en avais besoin. Il fallait demander à des gens compétents. Des hommes dont c’était le travail. Mais un truc que je savais déjà, c’est que eux n’avaient jamais l’air d’être en danger, ou d’avoir peur de tout casser.

C’est très facile de contrôler les risques. Couper l’eau, couper l’électricité, mettre des gants, installer une bâche. Donc non, ce n’est pas dangereux. C’était une très bonne fausse excuse.

« Oui mais je suis pas assez forte, oui mais je suis trop petite »

Si j’essayais, j’allais être en échec, c’était évident. Parce que de toute façon, il faut être fort, pour faire du bricolage, moi j’ai déjà du mal à porter mes sacs de courses et j’ai mal aux poignets quand j’essaie d’ouvrir un pot de compote. Alors pourquoi perdre son temps ?

Pourtant j’en ai trouvé plein, des solutions pour rendre le quotidien plus facile malgré tout ce qui peut être compliqué pour mon corps. Il y a plein de façons différentes de porter un sac.

En escalade, pas besoin de forcer sur les bras et de passer « en force » quand on sait placer son corps.

En bricolage, ce n’est pas différent : il y a des outils. Des escabeaux pour les petit·es, des pinces pour desserrer une vis sans se faire mal, des marteaux pour taper fort là où une main seule ne pourrait rien faire du tout, et quand le marteau ne suffit pas, la visseuse n’est pas loin.

Alors oui, ça allait sûrement être moins facile. Mais pas impossible. Et bien sûr qu’on peut être en échec quand on essaie quelque chose pour la première fois, mais c’est plutôt parce que…

« Oui mais je sais pas faire »

On arrive au cœur du problème. Personne ne savait faire avant de savoir faire, et pourtant, d’autres se lançaient, essayaient, et pas moi.

Je ne comprenais pas, parce que je n’essayais pas de regarder. C’est me rendre compte de ça qui a tout débloqué. Voir des gens qui ne savaient pas faire non plus, mais qui se penchaient pour comprendre, et qui trouvaient. J’aime voir comment les choses fonctionnent. Pourquoi je n’y arriverais pas moi aussi ? Et au pire, il se passerait quoi ? Je n’y arriverais pas et je demanderais de l’aide.

Ce sont des copains qui m’ont poussée, aussi. Quand je leur demandais de l’aide, ils me disaient, « tu veux pas essayer toi d’abord ? », et « tu veux qu’on essaie ensemble plutôt que j’essaie tout seul ? » — merci à eux.

À ce moment-là, c’était rassurant, d’avoir quelqu’un — un homme — comme filet de secours si je « faisais des bêtises ».

Mais au moins, j’ai commencé à bricoler.

« Le bricolage, ça peut être pour tout le monde, en fait »

On peut aimer ou non. Des fois c’est long, et chiant, et salissant. Mais ce n’est pas si hors de portée que je croyais.

J’ai appris à prendre soin de mon vélo. Changer une chambre à air, éviter de dérailler, enlever un pneu, dévoiler une roue, resserrer les freins, réparer les vitesses. J’ai découvert les ateliers réparation en mixité choisie, où la dynamique d’entraide était très différente. Là où les copains qui m’initiaient se mettaient activement en retrait, mais répondaient si j’avais besoin d’aide et hop magique ça marchait, j’ai découvert dans ces ateliers ce que c’était que de s’inventer des solutions. J’avais envie de transformer un vélo pour pouvoir faire de la randonnée avec. Il fallait que j’installe un porte-bagage solidement, et la solution n’était pas simple, ce n’était pas possible de juste suivre un tuto. Alors on réfléchissait ensemble, qu’est-ce qu’on a comme outils, qu’est-ce qui peut être détourné pour éviter qu’il y ait du jeu là, est-ce que cette barre ne pourrait pas être carrément soudée ? J’étais fière, en partant.

J’ai appris à identifier les problèmes des machines à laver. J’en ai beaucoup qui ont arrêté de fonctionner à un moment ou un autre, vu que j’en récupérais à droite à gauche. Des fois c’était simple, des fois non. Je n’ai pas su tout réparer, loin de là, mais je comprenais pourquoi.

Là où avant, je n’aurais jamais osé toucher un mur (j’allais l’abîmer c’est sûr, les gens disent qu’il suffit de reboucher le trou en partant, mais ça va se voir, il va falloir reconstruire tout le mur et tout l’immeuble même), j’ai appris à les trouer sans vergogne, à arracher les tapisseries, à en coller d’autres, à peindre. J’ai collé des couvercles sous des planches en bois pour y visser des pots en verre (très pratique pour gagner de l’espace dans la cuisine), j’ai aidé à monter des mezzanines, j’ai installé du faux plancher.

J’ai enfin dévissé un robinet pour y changer un joint. Ça me fait toujours peur, si je n’arrive pas à le remonter, je vais causer une inondation INTER-planétaire. Et il se trouve que j’ai passé la main en plein milieu, parce que « je suis pas assez forte et je comprends rien ». Mais j’ai essayé quand même.

Récemment, j’ai lu un manuel de réparation de machine à écrire en anglais datant de 1920. Il était vendu pour 2 dollars, à l’époque. J’ai démonté la machine entièrement, je l’ai nettoyée, j’ai cherché où le mécanisme bloquait, j’ai passé plusieurs jours dessus. J’ai trouvé, j’ai bidouillé, j’ai remonté, j’ai essayé, ça ne marchait toujours pas mais plus de la même façon (« ah ben tiens, je ne peux écrire qu’en majuscule, qu’est-ce que j’ai foutu ? »), j’ai recommencé, j’ai eu plein de petites illuminations. Bon, la machine ne marche toujours pas et je ne sais pas si j’aurai le courage de m’y remettre, mais ça, c’est une autre histoire (si vous avez des pistes pour trouver des pièces ou des gens qui ont déjà réussi, je prends). Celle que je raconte ici, c’est que je l’ai démontée, et que cette fois, je n’avais plus peur de ne pas pouvoir la remonter ensuite. Ou de la casser encore pire. Qu’est-ce que ça change, que ce soit cassé ou cassé, de toute façon ?

J’aurais aimé qu’on me dise, enfant, que j’étais capable de bricoler. Que l’idée que je n’allais pas y arriver n’ait pas été aussi ancrée. Pouvoir prendre du plaisir plus vite à réparer, au lieu de trouver ça effrayant avant de s’y mettre et angoissant pendant. Alors je vous écris pour vous le dire, si mon histoire fait écho avec vos propres expériences. Vous pouvez.

Bricoler, ça veut dire réparer avec des moyens de fortune. Ça veut donc dire oser, sans forcément bien faire. Pas de pression.

Bricoler, ça veut aussi dire faire de petits travaux qui réclament de l'ingéniosité et de l'habileté manuelle. Ça veut donc aussi dire qu’on peut être hyper badass, à faire des choses incroyables et surprenantes.

On y va ?

Auteur·rice·x·s