Une réflexion sur la question du genre et de son caractère socialement construit, en opposition aux arguments transphobes qui s’appuient sur une définition strictement biologique
Qu'est-ce qu'une femme ? Qu'est-ce qu'un homme ?
L'actualité politique de ces dernières semaines a ramené la question sur le tapis.
Au-delà des arguments simplistes et fallacieux brandis par les personnes transphobes, jusqu'à même devenir un décret présidentiel outre-atlantique 1, force est de constater qu'il n'y a pas de définition claire et précise qui n'exclue personne (ou n'inclue à tort d'autres personnes).
« Non, mais vous les trans, vous avez absolument besoin d'inventer des théories comme le genre, alors que le sexe biologique définit tout. »
Le genre se réfère aux rôles, comportements, attentes et identités que la société attribue aux individus en fonction de leur sexe, tandis que le sexe biologique concerne les caractéristiques physiques (organes génitaux, chromosomes, hormones). Voyons un peu plus en détail pourquoi le genre est une construction sociale.
Les normes de genre varient considérablement d'une culture à l'autre et évoluent avec le temps. Ce qui est considéré comme « masculin » ou « féminin » dans une société peut être très différent dans une autre, ce qui montre que ces rôles ne sont pas universels ni biologiquement déterminés. Par ailleurs, les talons hauts sont un élément essentiel de la mode féminine, synonyme d’élégance, de féminité et de style. Cependant, vous serez peut-être surpris·es d’apprendre que les talons hauts étaient à l’origine des chaussures pour hommes. Ces chaussures étaient une déclaration de mode, un symbole de pouvoir et un symbole de statut social pour les hommes il y a des siècles. 2
Dès le plus jeune âge, les individus sont éduqués dans des rôles spécifiques à leur genre (vêtements, comportements, activités, etc.). Ces attentes sont transmises par la famille, l'école, les médias et d'autres institutions, soulignant que le genre est appris et non inné. Une étude de 2015 par Jamie Jirout et Nora Newcombe 3 montre que le marketing de « genre » des jouets, c’est-à-dire le fait de les classer en rubrique « fille » ou « garçon » dans les magasins ou catalogues, a un impact sur le développement des enfants. Cette étude a ainsi révélé que les garçons ont plus de probabilités que les filles de jouer à des jeux qui développent leur intelligence spatiale – construction, puzzles, Lego. A contrario, la gamme Lego Friends, qui vise les filles, se concentre sur le jeu de rôle et non sur la construction. Les puzzles pour filles ont moins de pièces que ceux destinés aux garçons. Aux garçons la construction, la technique, la science, aux filles le care. 4
La reconnaissance des identités non-binaires et des expressions de genre variées démontre que le genre n'est pas strictement limité à deux catégories fixes imposées par la biologie. Cette diversité reflète la capacité de la société à redéfinir les normes de genre. De nombreuses sociétés reconnaissent plus d'un genre. Le genre a souvent été décorrélé du sexe biologique. Par exemple, en Mésopotamie, c'est le statut des personnes impliquées qui comptait, et non leur sexe. Dans l'ancienne Mésopotamie, les prêtres et prêtresses de la déesse populaire Inanna (mieux connue sous le nom d'Ishtar) étaient bisexuel·les et transgenres 5. Dans le sous-continent indien, les hijras existent depuis l'Antiquité. Iels sont des personnes du troisième genre considérées comme n'étant ni hommes ni femmes. Les Hijras sont criminalisés pour « indécence publique » au XIXe siècle par les lois britanniques de 1871. Leur classification dans le Criminal Tribes Act est abolie en 1952, mais leur stigmatisation sociale est restée inchangée dans les décennies qui ont suivi 6. On peut aussi citer l'exemple des burrnesha ou vierges sous serment. Il s'agit de femmes, généralement albanaises, qui ont choisi de vivre comme un homme. Ce statut découle d'un code pénal élaboré durant la domination ottomane. 7
Les constructions de genre sont souvent liées à des dynamiques de pouvoir et des hiérarchies sociales. Les rôles traditionnels servent à maintenir des structures sociales inégalitaires, ce qui montre que le genre est en grande partie une création sociale destinée à organiser la vie en société. Le meilleur exemple de ce système inégalitaire est le patriarcat, qui établit la domination des hommes sur les femmes et dans sa forme la plus violente va jusqu'à donner le droit de vie ou de mort des hommes sur les femmes. Rappelons que jusqu'à il y a à peine 60 ans, les femmes n'avaient pas le droit de travailler ni d'avoir un compte bancaire à leur nom sans l'accord de leur mari. 8
En résumé, même si des différences biologiques existent entre les sexes, le genre en tant que concept, avec ses rôles et ses attentes, est façonné par des processus sociaux et culturels et n'est pas une conséquence directe ou nécessaire des différences biologiques. Et donc, être une femme ou un homme ne peut être défini par son sexe biologique.
« Tu ne peux pas être une femme, car tu n'as pas grandi comme une "vraie" femme. »
Souvent, il est reproché aux personnes trans, surtout aux femmes d'ailleurs, que nous n'avons pas grandi dans notre genre. De ce fait, nous n'avons pas subi les mécanismes d'oppression et de sociabilisation, et donc nous ne serions pas légitimes.
Si la socialisation était uniquement déterminée par le genre assigné à la naissance, on pourrait en déduire que les femmes trans ont été socialisées comme des garçons, puisqu’elles entament généralement leur transition sociale à l’adolescence ou à l’âge adulte. Cette vision, bien que simpliste, trouve un écho chez les transphobes. Cependant, elle reste incomplète, car elle ne prend pas en compte la manière dont ces normes sociales sont reçues. Comme toute communication implique à la fois un émetteur et un récepteur, il est essentiel de se poser la question suivante : les filles trans intègrent-elles réellement ces enseignements masculins de la même manière que les garçons cis ? 9
En fait, comme l'explique Emmanuel Beaubatie, les femmes trans subissent la violence du patriarcat dès leur plus jeune âge. "Parce que justement, ces violences sont profondément liées au fait que leur entourage les voyait comme des garçons et du coup les sanctionnait parce que justement, elles ne se comportaient pas comme des garçons. La violence fait partie en fait de la socialisation, la violence, le dressage, c'est comme ça aussi que les individus sont socialisés par les interdits, par ce qui est impensable et ce qu'on va corriger, ce qu'on va réassigner. C'est pour ça que, pour moi, ce n'est pas incompatible de penser avec la socialisation, parce que, à travers toutes ces violences, elles ont été socialisées comme des garçons à la dure." 10
Quand une personne trans vit socialement dans son genre exprimé, elle est perçue différemment d'avant. Et cette perception qu'on a d'elle se répercute sur comment elle vit le monde qui l'entoure et comment la société interagit avec elle.
En tant que femme trans, je subis régulièrement, à divers degrés, de la misogynie au travail et dans l'espace public. Parce que je suis perçue comme une femme, la société va, dans son ensemble, m'appliquer les mêmes traitements qu'elle applique aux femmes cis. Que ce soit du harcèlement de rue ou à l'inverse, l'impression d'être transparente quand je dois partager l'espace public avec des hommes. Ou alors, on fera preuve de galanterie à mon égard, là où autrefois, je n'avais qu'à me débrouiller pour ouvrir une porte les bras chargés.
À contrario, les hommes trans font l'expérience d'un monde conçu pour les hommes. Tal Madesta témoigne : "Moi, la chose qui m'a frappé assez rapidement après le début de ma transition, c'est à quel point l'expérience de la masculinité, elle a été une expérience de l'invisibilité, de la sécurité. Donc typiquement, là où je me faisais constamment harceler dans l'espace public, par exemple, avant ma transition, bon ben aujourd'hui, je peux rentrer chez moi à trois heures du matin, seul, sans que personne me regarde." 11
Cependant, toutes les personnes trans ne vivent pas la sociabilisation dans leur genre souhaité. Et ce pour beaucoup de raisons possibles. Ne serait-ce tout simplement parce qu'elles ne sont pas "out" publiquement ou qu'elles n'ont pas le fameux cis-passing (que celà soit choisi ou pas). Et pourtant, elles sont toutes autant légitimes à se dire homme, femme, non-binaire, xénogenre etc. 12
La seule chose qui compte, c'est comment la personne se sent. C'est, à mon sens, la base même de la transidentité : l'autodétermination. C'est à nous de décider de notre genre, ce n'est pas à une tierce personne de le décider ni de le valider.
Et en ce qui me concerne, je suis une femme.
Décret exécutif 14168 sur Wikipédia. Revenir au note n°1
Les talons hauts étaient à l’origine des chaussures pour hommes, publié sur le Blog Sur La Mode Masculine Courte. Revenir au note n°2
Building blocks for developing spatial skills: evidence from a large, representative U.S. sample (EN) - National Library of Medecine. Revenir au note n°3
Les filles, les garçons et les jouets genrés sur National Geographic. Revenir au note n°4
LGBTQ+ dans le Monde Antique de Joshua J. Mark, traduit par Babeth Étiève-Cartwright. Revenir au note n°5
Hijra (sous-continent indien) sur Wikpédia. Revenir au note n°6
Vierge sous serment sur Wikipédia. Revenir au note n°7
L’émancipation financière des femmes en France : une brève histoire d'Alix De Renty, publié sur Ladies Bank. Revenir au note n°8
Le travail affectif du placard : regards sur la socialisation des femmes trans de Florence Ashley, publié sur Médium. Revenir au note n°9
Hommes trans : devenir des hommes comme les autres ?, un podcast de Les Couilles sur la table, disponible aussi en transcription écrite. Revenir au note n°10
Hommes trans : devenir des hommes comme les autres ?, un podcast de Les Couilles sur la table, disponible aussi en transcription écrite. Revenir au note n°11
Xenogenre sur le Wiki LGBTQIA FR. Revenir au note n°12