La critique culturelle peut être un outil puissant pour réfléchir. Cependant, elle est de plus en plus inaudible, car toute remise en cause d'une œuvre est vue comme une attaque identitaire. Plume explore l'origine de ce problème et ce qu'on peut y faire.
Note de l'éditrice : Plume a développé une orthographe spécifique pour dégenrer sa langue (par exemple : frustréés, seulls, unn championn). Bien que cela ne corresponde pas à nos choix éditoriaux, nous n'avons pas voulu dénaturer son style.
J’ai un problème avec la critique culturelle.
J’ai un problème parce que j’aime ça, mais qu’elle ne marche pas comme elle devrait.
J’ai un problème et je suis critique : alors je vais creuser, chercher pourquoi la critique est inefficace, pourquoi elle n’atteint pas ses buts.
Et pour commencer, il faut revenir aux fondements :
Il y a (au moins) deux manières d’envisager la critique.
Certaines fois, la critique est lucide sur elle-même : elle sait qu’elle ne poursuit pas d’autre but que de se défouler un moment. Et ce n’est pas un mal en soi. C’est humain. On est frustréés, en colère, fatiguéés, on a envie de donner un bon coup de point dans l’eau. On le fait. On le fait même avec humour. On se sent un peu mieux. Et puis on est à nouveau prêtts à faire des choses plus productives.
Cette première forme de critique n’est pas intrinsèquement dénuée de pertinence. Insulter Elon Musk quand il profite de l’investiture de Trump pour lancer deux saluts nazis à la foule, c’est une réaction saine. Ce type est un fasciste d’extrême droite, qui soutient des partis néonazis allemands, et le fait qu’il se sente autorisé à le montrer au grand jour est une réalité qui devrait nous inquiéter au plus haut point : elle montre à quel point la fenêtre d’Overton 1 s’est déplacée vers l’extrême droite. On a besoin de le dire, de s’en indigner.
Mais taper du poing sur la table ne va rien changer : ça ne va pas miraculeusement faire réaliser à ce milliardaire imbu de sa personne que « ah oui, ptet que reprendre à mon compte des symboles nazi c’est immonde, et ça devrait m’inciter à revoir la politique dans laquelle je suis engagé depuis des années ». Ça ne va pas non plus convaincre ses fans qu’il est temps de changer de role model (plutôt les conforter dans l’idée qu’iels sont diaboliséés, pauvres petits choux). Ça ne va rien apprendre à ceusses qui, dans leur rejet du fascisme, refusent aussi de le reconnaître quand il pointe son nez (on les a vus, les éditos qui expliquent au calme que « mais non voyons, le bougre n’est pas méchant, il voulait juste offrir son cœur à la foule, il est autiste vous comprenez alors il s’est laissé emporter, probablement il aime les peplums et a voulu reproduire un salut romain, vous savez, oui, ceux qu’on voyait dans les films historiques produits en Allemagne dans les années trente, hm hm, de propagande voilà, c’est le mot que je cherchais. Laissez-moi réajuster vos œillères. Là ! Il est pas beau, le monde, quand on ferme les yeux ? » au point que même la page Wikipédia dédiée ne semble pas vouloir qualifier le geste, se bornant à parler de « polémique » comme s’il y avait le moindre doute. Voir cette vidéo sur cette histoire de salut romain). Les gens qui ne veulent pas voir continueront de ne pas voir. Diront « ce mec est taré » et ne se demanderont pas à quel point il n’est en fait que le symptôme d’un mal bien plus profond (ils pourront même ajouter une épaisseur supplémentaire à leur déni : si les fascistes commencent à faire des Heil au grand jour, alors les fascistes qui continueront de s’en abstenir seront d’autant plus faciles à classer comme « inoffensifs ».
Et ça ne va rien apprendre aux gens qui s’inquiètent de la montée du fascisme. Parce que le pire, dans cette histoire, c’est à quel point le geste n’était pas surprenant. Choquant, révoltant, oui. Mais pas sorti de nulle part. Il ne fait que mettre en lumière un problème observé depuis longtemps.
On n’a pas attendu l’investiture de Trump pour s’inquiéter de la montée du fascisme.
Si l’on tempête, ce n’est pas pour produire des effets bénéfiques à long terme. C’est parce qu’on est choquéés, et qu’on a besoin de se rappeler, là à l’instant T, qu’on n’est pas les seulls à l’être.
On a besoin du sentiment de cohésion. On a besoin de laisser exprimer notre colère pour ne pas qu’elle se change en désespoir.
On a besoin d’être dans la réaction.
C’est ok.
Mais ce n’est pas ok de se limiter à cela.
Parce que la critique n’est pas que cela. Ou elle ne devrait pas l’être. La vraie critique n’est pas réactive, elle est sur le temps long, elle est dans l’analyse, elle est dans l’empathie. Elle poursuit des objectifs à long terme : faire en sorte d’aller mieux (collectivement), et pas seulement de se sentir mieux (momentanément) face à l’adversité. Quand une critique se veut sérieuse, son but, c’est d’être génératrice de changements : changement de mentalité d’abord, puis, une fois les alliéés convaincuus, un changement de paradigme : que la critique fasse réfléchir, qu’elle pousse à trouver des alternatives, des solutions. Qu’elle pousse à tenter d’autres choses, quitte à ce que cela ne fonctionne pas.
Arrive alors la deuxième question :
Pour qu’une critique soit efficace, il faut qu’elle soit entendable par les personnes qui font l’objet de ladite critique.
Or dire « t’es qu’une grosse merde, le truc que t’as fait est immonde, tu devrais juste bien fermer ta gueule, voire disparaître de l’espace public, ça nous ferait des vacances » n’a jamais aidé qui que ce soit à progresser.
C’est juste violent. La réaction logique, c’est de se braquer. Et les personnes braquées ne changent pas. Elles sont sur la défensive. Quelque part, si la véhémence est dirigée vers quelqu’un qui en est déjà au stade des saluts nazis décomplexés, y’a peu de chance d’arriver à les raisonner quoi qu’on dise. Mais tout le monde n’en est pas là.
Il y a des gens qui pourraient aussi bien être de notre côté. Voire qui le sont, de base.
Or le problème de mettre sur la défensive ces gens là, c’est qu’on prend le risque de les pousser dans les bras de mouvements haineux qui seront ravis de les accueillir : « On a été méchant avec toi ? Tu souffres ? Je comprends. Et t’as raison. C’est la faute de ce bouc émissaire, là, de ce groupe de gens qui ont figure humaine mais qui sont en fait des dangers pour la société et on devrait les traquer jusqu’à ce qu’il n’en reste plus. Alors seulement nous pourrons être heureux à nouveau. N’est-ce pas ce que tu veux ? Être heureuxe ? » Les gens ne sont pas nuls de manière intrinsèque. Iels ont des fondements à leurs raisonnements, des justifications à leurs émotions. Ensuite viennent s’ajouter des angles morts, des failles dans le raisonnement qui mènent à des conclusions erronées voire nocives. Mais si l’on rejette la conclusion sans prendre la peine de reconnaître d’où elle vient, on ne fait que s’aliéner des gens.
Faire une critique constructive, c’est faire le travail d’empathie. C’est comprendre d’où viennent les discours, les œuvres, les actes. Il faut être capable de rassurer les gens avec qui on est en désaccord : oui, iels ont des raisons de penser ce qu’iels pensent, de ressentir ce qu’iels ressentent et de faire ce qu’iels font. On ne les dé-légitime pas. Ce ne sont pas forcément des bonnes raisons, mais ce sont des raisons.
Il faut se rappeler des fois où nous-mêmes avons été dans l’erreur. Admettre qu’on pourrait l’être encore. Entamer une discussion qui révélera peut-être que c’est nous qui faisons fausse route. Penser, c’est douter. On ne pertine pas si l’on refuse de nous remettre en question nous-même avant les autres. Ce n’est qu’une fois ce pont établi entre soi et l’autre qu’on peut les questionner : parce que les questions, on se les est posées à soi-même avant tout.
C’est un travail qui est passionnant. Un travail qui, quand il est bien fait, nous fait grandir : à la fois soi et l’autre. Ça, c’est la théorie.
Ensuite vient la pratique.
La question est :
Par là je ne veux pas dire « est-ce que les gens qui produisent ces critiques le font bien, avec l’empathie nécessaire ? » mais vraiment « est-ce qu’iels atteignent leur but ? ». Or ce sont deux choses différentes : on peut faire quelque chose qui ne fonctionne pas sans être en faute pour autant.
Or le truc, à ce moment-là, c’est que je crois que non : la critique ne fonctionne pas. Ou ne fonctionne plus.
Car comme on l’a vu, pour qu’elle fonctionne, il faut qu’elle soit ouverte. Il faut qu’elle crée un pont d’empathie entre la personne qui critique et celle qui est critiquée.
Or pour créer ce pont, il ne suffit hélas pas que la personne qui critique soit de bonne volonté, et ait de bonnes pratiques. Il faut aussi que celle qui reçoit la critique soit prête à la recevoir. Or elle ne peut pas le faire si elle pense qu’on ne critique que ce que l’on déteste, que ce qui est absolument nuisible, et que dire « j’ai quelques reproches à faire à ce film que tu adores » lui fait le même effet que si on lui avait dit « je pense que t’es un déchet humain qui ne vaut pas mieux qu’Elon Musk et ses saluts nazis ».
J’ai l’air d’exagérer, mais d’après mes observations, c’est cela qui se produit dans la tête de trop de gens.
Pour prendre un exemple concret : j’ai fait il y a quelque temps une critique de la saison 2 de Hearstopper. C’est une série pour adolescent mettant en scène un groupe d’amiis au lycée, et plus particulièrement la relation amoureuse entre deux des garçons du groupe. L’histoire est très mignonne, j’ai passé un bon moment devant. Il y a beaucoup de douceur à l’intérieur. Une douceur dont on a besoin et qui explique aisément la popularité de ce show. Et en même temps, il y a matière à critiquer : non pas parce qu’il y aurait quelque chose de fondamentalement mauvais dans cette production, mais simplement parce que la série donne à voir la norme dans les milieux queer, et que partir de là permet d’illustrer efficacement ce que j’entends par « normativité queer » avant d’en aborder les failles. Parce qu’il y en a : des failles qui ne sont pas intrinsèques à Hearstopper, mais relatives aux milieux queers en général, qu’Hearstopper donne à voir.
Ça ne veut pas dire que Hearstopper EST « problématique ». Ça veut dire que parler d’Hearstopper permet d’aborder un problème.
(Par ailleurs, même si Hearstopper était problématique, on aurait toujours le droit de l’aimer).
Et pourtant, je le vois bien : quand je critique des œuvres connues et appréciées comme l’est cette série, même si moi-même les apprécie aussi, je me rends inaudible. Je passe pour la rabat-joie de service, pas même capable d’apprécier les choses inoffensives de la vie. Or qu’y a-t-il de plus inoffensif que des amours adolescents ?
Il y a une double équivalence qui se fait malgré moi, où je ne peux pas seulement critiquer une œuvre sans donner l’impression de la rejeter entièrement, elle, et toutes les personnes qui l’ont aimée. « Quelqu’un pointe du doigt certains éléments présents dans une œuvre donnée, on me dit donc que cette œuvre est nulle, or j’aime cette œuvre, c’est donc mes goûts qui sont attaqués, c’est donc moi dans ma totalité ! Or je suis une bonne personne !! Comment quiconque ose insinuer le contraire ?! »
Rien de ce que je peux dire n’arrive à contrer ce phénomène. J’ai beau faire attention à mes formulations, j’ai beau prendre le temps de rassurer les gens, je ne suis pas entenduu.
Pourtant, et c’est un point extrêmement important : les gens qui font cette équivalence ne sont pas bêtes. Iels la font parce qu’on leur a appris à la faire.
Il y a une confusion qui s’opère entre toutes les formes de critiques : on appelle « critiques constructives » des critiques qui sont en fait défoulatoires.
Pour donner encore un exemple : je ne me contente pas de critiquer des œuvres largement aimées autour de moi, je défends aussi celles qui sont largement descendues. Dans un de mes récents articles, je reviens sur le film Emilia Perez : un film qu’il semble être de bon ton d’accuser de tous les maux.
Parmi les critiques, certaines sont pertinentes, notamment sur la déconnexion entre la représentation des cartels de drogue dans le film et les difficultés réelles des gens victimes de ces violences au Mexique, dont la gestion est bien moins simple que ce que le film tend à montrer.
Mais tout cela est noyé sous des litres de mauvaise foi. Quelques jours seulement après avoir posté mon article, un influenceur (que je suis pour la pertinence de ces travaux sur le validisme ou la transidentité, quelqu’un qui est très loin d’être bête) postait une vidéo intitulée « le truc le plus offensant avec Emilia Perez, c’est à quel point la musique est nulle ».
Ce n’est pas offensant, que la musique soit nulle. C’est décevant. Ça fait qu’on aime pas le film. Mais c’est subjectif. Ça ne le rend pas intrinsèquement mauvais.
En réalité, du côté blanc et trans d’internet, les gens s’inquiètent de l’image que le film donne de la transidentité (puisque l’héroïne, qui s’avère être une femme trans, est aussi ex-cheff de cartel responsable de la mort de milliers de gens). Mais à ce niveau, le film pose certes des questions, mais il n’est pas aussi transphobe que les critiques le redoutent. Il est imparfait. Il n’est pas le film que j’aurais réalisé si ça avait été moi en charge.
Mais c’est le film qui existe. Et je ne peux m’empêcher de me demander : quel effet ça produit, de rejeter le film comme « à chier » alors que des milliers de gens l’ont vu et aimé au point qu’il soit l’un de ceux ayant reçu le plus de nominations aux oscars (à une nomination du record) ?
Les gens ne vont pas dé-voir le film.
Et peut-être qu’au lieu de leur dire « vous n’auriez pas dû l’aimer, car c’est une honte », on aurait meilleur ton de se demander « ok, puisque c’est le film qui existe, qu’est-ce qu’on peut en retirer ? ».
Il y a des choses à retirer de ce film. Il pourrait, si on s’en donnait la peine, servir de point de départ à des discussions sur la transidentité (ces discussions mêmes dont on a besoin pour combattre la transphobie) au lieu d’être un énième moment de rupture (établir ce film comme preuve de la transphobie des gens qui l’ont produit ou même juste apprécié).
Ce n’est qu’un exemple, bien sûr, mais il me semble symptomatique de la manière dont on aborde collectivement la critique, en la limitant à une réaction viscérale et immédiate.
Ce faisant, on inscrit, quelque part à un niveau inconscient, l’idée que les critiques ne sont pas faites, même quand elles disent du vrai, pour être entendables. Elles sont faites pour tracer la démarcation entre nous (qui avons raison) et les autres (qu’on disqualifie).
Et ainsi, on rend les gens de plus en plus imperméables au potentiel transformateur de la critique.
On a un problème, parce qu’on est en train de créer progressivement un cadre où les critiques constructives ne peuvent plus exister.
À nouveau, question :
En fait, pour le dire brutalement : l’impossibilité de critiquer est un critère pour reconnaître le fascisme. Dans sa liste des quatorze marqueurs du fascisme éternel, Umberto Eco inscrivait en quatrième position : La croyance que les désaccords sont des trahisons (pas d’esprit critique/de culture scientifique où les débats servent à augmenter les connaissances). Pour ma part, je dirais que ce n’est pas seulement un point parmi d’autres : c’est un point central.
Ce qui fait le fascisme, au-delà des définitions historiques qui le confondent avec un synonyme de nationalisme traditionaliste, c’est l’essentialisation d’une identité fondée sur une mythologie à laquelle chacun se doit d’adhérer absolument. Le nationalisme, ce n’est qu’une des essentialisations identitaires possibles, essentialisation qui s’appuie sur le mythe de « la tradition », à laquelle chacun se doit de croire absolument. Le fascisme nationaliste est la forme de fascisme qui, historiquement, a fait le plus de mal : c’est celle des régimes qui ont déployé leur violence à la plus grande échelle (celle du génocide). Mais ce n’est pas la seule forme de fascisme qui existe pour autant.
Aussi, quand je donne ma propre définition du fascisme, j’insiste sur l’importance de savoir le reconnaître dans d’autres contextes.
Ce faisant, on s’aperçoit qu’au cœur du fascisme, il y a l’idée qu’il n’y aurait qu’une seule manière de voir le monde : une seule vérité.
C’est le mythe auquel tout le monde doit adhérer. Et l’impossibilité du désaccord (c’est-à-dire l’absence d’esprit critique, de culture scientifique, l’incapacité à utiliser du débat sain pour produire du savoir) est un des premiers marqueurs qui ressort. Viennent ensuite :
À ce titre, l’impossibilité de faire entendre des critiques constructives m’inquiète particulièrement. Surtout quand elle s’explique par une espèce de guerre permanente et par une obsession sur la nécessité de punir (qui sont deux autres des critères qui permettent selon moi d’identifier un mode de pensée fasciste) : comme on l’a vu, si les gens refusent la critique, c’est parce qu’iels ont intégré que recevoir une critique c’était être absolument condamné.
On n’entend plus les critiques parce qu’on a l’habitude qu’elles ne servent qu’à établir une dichotomie binaire, et essentialisante, entre les « gentils » et les « méchants ».
En sommes, on n’entend pas les critiques parce qu’on a l’habitude de les envisager uniquement de la manière dont les fascistes les envisagent, et ce, y compris à gauche.
On ne pense plus. Il y a des bonnes œuvres et des mauvaises, des bonnes personnes et des mauvaises, et il faut pouvoir être du « bon côté » avant même de réfléchir à « pourquoi serait-il le bon, au fait ? ». Douter, c’est être tenté par « le côté obscur ». Si tu ne détestes pas immédiatement une œuvre détestable, c’est que tu n’es pas suffisamment capable d’identifier « ce qui est problématique », c’est donc que tu es « problématique » toi-même. Si tu n’aimes pas absolument tout d’une œuvre respectable, c’est que tu n’es pas suffisamment sensible à ses vertus pourtant essentielles, c’est louche de ta part.
Pour évaluer la qualité d’une œuvre, il faudra donc se baser sur d’autres critères que la raison : sur l’adhésion automatique à l’avis « général » et sur l’emploi de règles pour déterminer a priori qui a raison et qui a tort.
Pour les fascistes nationalistes d’extrême droite, ce sont les « citoyens de souche » qui ont raison (avec l’idée xénophobe que les immigréés et autres personnes racisées sont inférieures).
Pour les fascistes néolibéraux (qui sont aussi d’extrême droite, à ce stade), ce sont les « success man » qui ont raison (avec l’idée méritocratique que gagner des milliers d’euros par secondes, loin d’être une absurdité de l’ultra-capitalisme, est en fait la preuve d’une compétence qui peut s’étendre à tous les sujets, y compris ceux qui n’ont rien à voir avec l’entrepreneuriat).
Pour les fascistes de gauche, parce qu’iels existent, ce sont « les concernéés » qui ont raison (avec l’idée que subir une oppression nous force à la connaître, même quand on n’y réfléchit pas plus que ça, alors qu’une personne qui ne fait que l’observer depuis l’extérieur, même en dédiant sa vie à produire une analyse sérieuse, en saura forcément moins).
Et c’est là qu’on aboutit à une forme d’essentialisation identitaire, qui est LA caractéristique centrale et fondatrice du fascisme. J’ai un problème avec la critique parce que la manière dont on l’envisage est symptomatique de la montée du fascisme.
Or comme je l’expliquais dans mon article sur le fascisme cité plus haut, on ne gagnera jamais face à l’extrême droite si on accepte de penser comme elle, à la manière fasciste (c’est à dire essentialisante, brutale, sans nuance).
Il est urgent de changer de manière d’envisager la critique.
Ce qui mène à la dernière question, la plus importante de toutes :
L’impossibilité de produire des critiques efficace relève de dynamiques globales, étroitement liées à la montée du fascisme, et en cela : c’est difficile d’aller contre.
Mais je crois qu’il y a une partie sur laquelle on a prise, à commencer par : changer notre propre regard sur la critique, et encourager les gens autour de nous à en faire de même.
C’est Jameela Jamil qui dit qu’elle ne pense plus aux critiques comme à des attaques, mais comme à des compliments.
C’est contre-intuitif, peut-être. Mais s’il y a une chose à retenir de « la règle des 300 secondes » (dans les conseils de survie face au racisme de Marie DaSylva : qui consiste à ne pas passer plus de cinq minutes par jour à faire de la pédagogie, afin de ne pas perdre son temps à la faire à des gens qui n’en tireront rien) : si on refuse de dépenser son énergie dans des débats stériles, ça ne veut pas dire qu’on refuse toute forme de débat pour autant, mais qu’on choisi lesquels avoir et avec qui.
Cela veut dire : quand je me donne la peine d’adresser une critique, c’est que j’estime suffisamment la personne à qui je l’adresse pour considérer que cela en vaut la peine.
Et réciproquement : quand on m’adresse une critique, je me demande d’où elle vient avant de me braquer. Bien sûr, certaines takes n’existent que pour blesser, et il ne s’agit pas d’intégrer tous les commentaires négatifs qui sont faits à notre sujet. Simplement : ce n’est pas le seul cas de figure. Parfois, il y a des opportunités de se remettre en question.
Et c’est bon de le faire.
« Bon » pas dans le sens de la respectabilité.
C’est bon aussi à un niveau personnel, presque égoïste : pour notre bien-être émotionnel. Se remettre en question, ce n’est pas « accepter » toutes les critiques comme si elles étaient toutes justes et pertinentes. Elles ne le sont pas. C’est se donner l’occasion d’accéder aux remarques pertinentes (parce qu’il y en a) auxquelles on n’aurait pas pu penser toustes seulls, et de mieux cerner quelles directions on ne souhaite pas prendre et pourquoi. Ce faisant, notre jugement devient plus assuré, y compris quand il s’agit de faire face à des attaques qui ne sont que méchanceté.
Il y a un paradoxe dans le doute : douter davantage de nos idées et actions, c’est, au final, moins douter de soi. Tout simplement parce que c’est en essayant, et donc en se trompant, qu’on apprend, et qu’on finit par se tromper moins. Si unn championn de tir à l’arc vise si juste, c’est parce qu’iel a eu des années d’entraînement pendant lesquelles iel a mis la flèche à côté bien plus souvent que quelqu’un qui n’a jamais tenu un arc.
La vraie assurance, c’est celle qui découle de l’expérience, plutôt que du principe.
À partir du moment où vous voulez avoir une opinion sur un sujet (et vous n’êtes pas forcéés d’en avoir une sur tout, il peut y avoir des domaines où vous acceptez que ce n’est pas votre priorité. Personnellement, je ne suis pas experte dans les enjeux du nucléaire. Mais du coup : je ne fais pas semblant de l’être en motamotant ce que mon camp politique à l’air d’en dire), vous ne pouvez pas faire l’économie de réfléchir au-dit sujet. Il faut l’envisager dans sa complexité, c’est-à-dire en prenant en compte la manière dont d’autres que vous perçoivent ses enjeux. Il faut embrasser la critique, non pas parce qu’elles sont toutes bonnes à prendre, mais parce que même quand elles ne le sont pas : on a tout à gagner à savoir pourquoi elles ne le sont pas.
Je crois que si on s’en donnait les moyens, on aurait les moyens de vraiment avancer.
Si je critique la gauche, si j’insiste sur les dynamiques fascistes dont elle se rend coupable, ce n’est pas parce que je la déteste. C’est parce que je sais à quel point, dans ce contexte de montée de l’extrême droite, nous avons besoin d’elle.
Et je crois qu’elle (que nous) pouvons faire mieux : ne serait-ce que parce que, si tous les courants d’extrême droite sont fascistes, tous les groupes de gauche ne le sont pas.
C’est à nous de ne pas laisser les façons de penser (ou de ne pas penser, en l’occurrence) de la droite infiltrer nos esprits.
Et un point de départ à ça, concret, c’est de travailler sur notre rapport à la critique.
La fenêtre d'Overton est l'ensemble des idées, opinions et pratiques considérées comme acceptables par l'opinion publique d'une société à un moment donné. Pour en savoir plus, voir la page Wikipédia sur la fenêtre d'Overton. Revenir au note n°1