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Ma première héroïne féministe de fiction

Magali se demande quelle a été sa première héroïne féministe dans la fiction et comment ça a contribué à créer la féministe qu'elle est aujourd'hui ? Elle en profite pour poser la même question à ses collègues...

Je suis de ces personnes qui ne font pas de distinction entre fiction et réalité. Hum. Non. Pardon, ça n’est pas tout à fait ça. Je suis de ces personnes qui considèrent que la fiction a sa place dans la réalité. Est-ce que c’est plus clair ? Ce que je veux dire, c’est que pour moi la fiction a un impact sur la réalité, ça n’est pas « juste » de la fiction. Je crois qu’il y a plein de choses qu’on peut comprendre grâce à la fiction, plein d’idées qu’on peut y développer, plein de points de vues qu’on peut y découvrir. Je crois aussi que la fiction est un outil incroyable pour développer son empathie.

Il y a quelques années, Alice Coffin avait fait scandale en écrivant dans son livre Le génie lesbien qu’elle ne voulait plus centrer les hommes dans son univers fictionnel et choisissait de lire des livres écrits par des femmes, de regarder des films réalisés par des femmes, d’écouter de la musique faite par les femmes… Cette citation avait fait le tour de tous les plateaux, de toutes les chroniques et avait été décrite comme une violence incroyable (et du coup la citation dans le livre où elle dit qu’un jour elle tuera un homme est complètement passée à la trappe…). Je pense que ce qui a particulièrement choqué dans cette posture assumée, c’était qu’elle mettait en relief le fait que, non, la fiction n’est pas quelque chose de neutre et que les artistes qui la créent font toujours passer un message à travers.

Oui parfois, le message est un message hyper basique et pas très compliqué à mettre de côté. Quand je regarde Armageddon (un de mes films doudou j’avoue), je peux totalement laisser de côté le message hyper patriotique de Michael Bay parce qu’il n’a rien de subtil ou même de très argumenté et peut être facilement évacué sans changer beaucoup l’expérience. Je peux me concentrer sur les relations entre les personnages, cette famille choisie qui se retrouve à devoir sauver la terre, ce qui est mon interprétation de ce film, ce que j’en retire.

Mais même dans ce genre de films popcorn, il y a un message. Parce qu’on ne crée pas en se détachant de qui on est. On met toujours de soi dans ses créations, c’est notre voix qu’on fait entendre à travers elle. (D’où le fait que « séparer l’art de l’artiste » n’a aucun sens).

Et la fiction n’est pas seulement un moyen d’envoyer des messages, c’est aussi un outil qui aide à la construction. Je pourrais en parler des heures, et c’est un sujet que je développe beaucoup dans ma newsletter par exemple, de comment la fiction m’a permis de comprendre le monde, de développer mon éthique personnelle ou de créer mon propre univers fictionnel. Et c’est ce sujet que j’avais envie d’aborder aujourd’hui, en réfléchissant au féminisme et à quelle(s) héroïne(s) de fiction ont marqué mon imaginaire en premier et allumé une flamme qui a fini par faire feu de tout bois jusqu’à me faire arriver ici, à écrire un article dans le magazine féministe que j’ai co-fondé.

Et quand j’ai commencé à réfléchir à la question, j’ai eu envie de la poser aussi aux copines du magazine.

Thea :

Pour ma part, j’ai adoré Ewilan de Pierre Bottero. Je m’étais énormément identifiée à elle enfant parce que, à l’époque, c’était la seule héroïne féminine, qui était prise au sérieux par les autres personnages, peu importe, leur genre ou leur âge ou leur expérience.

Après ça fait longtemps que je les ai pas lus, donc toujours se méfier des ersatz qui restent dans un cerveau, mais vraiment c’était pour moi un moyen de m’extraire non seulement du genre assigné à ma naissance (même si je le comprenais pas comme ça à l’époque) mais aussi j’étais super heureuse de voir que pour une fois une héroïne était pas traitée « juste comme une meuf dans la vraie vie ».

Je vous le dis avec mes mots d’époque, je m’identifie tellement plus à elle, que tous les autres bouquins que j’avais lus avec des héros masculins.

Je me souviens que dès gamine je m’identifiais toujours beaucoup aux personnages féminins, particulièrement ceux qui étaient montrés comme un peu en marge, un peu revendicatifs… Par exemple, dans le Club des Cinq je m’identifiais à Claude, elle avait tout pour plaire : elle menait, elle avait un chien, et elle rejetait la féminité classique. De la même façon, dans les Quatre Filles du Docteur March, que je regardais dans une adaptation en série d’animés, c’était Jo qui avait ma préférence, pour les mêmes raisons (mis à part le chien, la seule chose qui manque à Jo si je dois être honnête). Et c’est plutôt drôle parce que j’ai toujours été féminine. J’adore les robes, j’adore le rose, j’aime le maquillage, les paillettes… Mais ce que j’appréciais dans ces personnages c’était le fait qu’elles refusaient le carcan dans lequel on essayait de les mettre. C’étaient des rebelles, elles se battaient pour avoir le droit d’être ce qu’elles voulaient être, et n’hésitaient pas à aller dans la confrontation s’il le fallait pour le revendiquer.

So’ :

Je pense que je mettrais Lyra et Serafina Pekkala de À la croisée des mondes. Évidemment, c'est pas les toutes premières, et j'avais aucune conception du féminisme, mais elles ont une place énorme. Et Mary Malone aussi !

En plus jeune, je me souviens de Fantômette et Claude du Club des 5.

J’ai grandi dans les années 90, quand il y avait encore relativement peu d’héroïnes auxquelles s’identifier pour les petites filles, quand on continuait à beaucoup centrer les petits garçons dans les histoires pour enfants. Ça ne m’a pas empêchée d’aimer certaines œuvres faites plutôt pour les garçons, les Goonies et Princess Bride sont deux de mes films préférés bien que je n’en sois pas la cible. Mais je crois que cette rareté des personnages féminins (autrement qu’en faire-valoir des personnages masculins) m’a poussée à être très marquée par les personnages féminins vraiment bien construits et centraux aux histoires et d’en faire tout de suite des sortes de symboles féministes. Comme So’, À la croisée des mondes est devenu un de mes univers de fiction préférés durant l’enfance parce qu’on y trouvait tout un tas de personnages féminins divers et qui avaient leurs propres histoires. Et si, un peu plus tard, j’ai été autant marquée par Buffy c’est bien parce que c’était la première fois que je voyais une héroïne féminine, adolescente, qui était celle qui avait toutes les responsabilités, toutes les forces, et qui en plus vivait aussi ce que les adolescentes vivent au jour le jour. Fuck Whedon bien sûr, mais c’est pas pour rien qu’il a eu ce rayonnement d’homme féministe sur un piédestal pendant autant d’années, il amenait quelque chose qui n’existait quasiment pas dans le mainstream et qui a permis à plein de femmes d’ouvrir le champ des possibles.

Emmanuelle :

Ma première grande héroïne c’était le personnage Guenièvre dans deux romans de Nancy McKenzie qui sont introuvables aujourd’hui. Ça raconte l’épopée de la Reine Guenièvre au temps du Roi Arthur. De par sa puissance elle était enviée par nombre de personnages féminins et masculins. Avec un peu de recul, c’est une œuvre féministe qui a quand même quelques biais. Mais quand j’étais ado, je rêvais d’être aussi forte qu’elle et les épreuves qu’elle avait et l’envie qu’elle suscitait me rappelait un peu mon quotidien.

Si je fais l’inventaire des fictions qui ont marqué mon enfance, elles avaient (quasiment) toutes un point en commun : des personnages féminins qui sortaient des schémas habituels. Parfois, c’était léger et bien loin d’être vraiment féministe, comme par exemple dans Sauvé par le gong où j’adorais le personnage de Jessica qui était l’intello un peu revêche qui refusait de mettre les garçons au centre de sa vie (je ne pense pas qu’on puisse dire que Sauvé par le gong était une série particulièrement woke, mais je pouvais en tirer ce que je voulais). Parfois, c’était beaucoup plus assumé, comme dans Animorphs, la série de livres de K.A. Applegate, où les deux personnages féminins avaient chacune des facettes très différentes de non-conformisme et en plus devaient naviguer dans leur amitié avec de grosses différences. Je m’identifiais une fois à Rachel, à cause de sa colère et de son envie de tout défoncer derrière un vernis très conforme, une fois à Cassie et son amour des animaux et sa recherche de la position éthique avant tout.

Ces deux personnages me permettaient de comprendre des facettes de ma propre personnalité et d’avoir des rôles modèles pour les développer. Grâce à Rachel j’ai compris que je pouvais être en colère et que je pouvais lutter, grâce à Cassie que je pouvais aussi voir les choses avec empathie et chercher à être le plus possible alignée avec un idéal éthique, et que l’urgence d’un moment ou la gravité d’une situation ne me dédouanaient pas des choix que je faisais. (Bon des fois je m’identifiais à Tobias et je voulais juste être un faucon à queue rouge et voler dans les courants aériens).

Marine :

Je ne sais pas si c'est la première mais j'ai immédiatement pensé à Fifi Brindacier (la série télé). Et ça m'amène à Dr Quinn, Xena, Buffy... Catwoman et Poison Ivy de l'animé Batman des années 90 aussi !

Côté littérature le Club des 5 et le Clan des 7 ont bercé mon enfance, mais je n'ai pas de souvenir précis d'un personnage marquant, et j'ai bcp lu des "classiques" avec peu de femmes dans des rôles intéressants. Après à l'adolescence avec la découverte des mangas et de la fantasy j'ai Polgara de la Belgariade (David et Leigh Eddings) ou encore Nana…

Si vous me demandez qui a été ma première héroïne de fiction féministe, la première réponse qui me vient c’est Fantagaro de la Caverne de la Rose d’Or. Et si ça n’est peut-être pas la toute première tout court, bien que je me souvienne avoir vu le premier film très jeune et avoir été obsédée par cette saga toute mon enfance, c’est en tout cas la première où j’ai conscientisé le fait que je l’aimais parce qu’elle était féministe (sans forcément avoir le mot à l’époque j’imagine).

Parce que ce que j’aimais chez Fantagaro c’était qu’elle refusait d’obéir aux règles absurdes qui disaient qu’en tant que princesse elle n’avait de valeur que grâce à sa beauté et sa capacité à épouser un prince riche et qui ferait une bonne alliance. Parce que ce que j’aimais, c’est qu’elle allait contre son père, le Roi, et imposait ce qu’elle considérait être juste. Parce que ce que j’aimais, c’est qu’elle refusait aussi tous les jugements hâtifs et les schémas que la société lui imposait et se liait d’amitié à toutes les personnes et créatures marginalisées qu’elle rencontrait. Parce que ce que j’aimais, c’est qu’elle avait un besoin de justice très fort et n’hésitait pas à se battre pour, même quand elle n’était pas sûre de gagner, même quand elle se mettait en difficulté. Parce que ce que j’aimais, c’est qu’elle n’était pas parfaite mais faisait de son mieux. Parce que ce que j'aimais, c'est qu’elle ne jugeait pas ses sœurs de vouloir autre chose et reconnaissait leurs forces.

Encore aujourd’hui, Fantagaro pourrait incarner un symbole de la féministe que j’aimerais être. Et je pense qu’avoir accès à ce personnage très jeune m’a permis de définir très tôt ce qui était pour moi un modèle et d’avoir une vision des possibles qui n’avait rien à voir avec ce que la plupart des fictions me présentaient. Et c’est pour ça que la fiction est importante, que la représentation est primordiale.

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