Mieux vaut vivre seul·e que mal accompagné·e

Mad a vécu seul·e pendant neuf ans et iel a adoré ! Pourtant quand iel en parle, les gens sont plutôt horrifiés... Réflexion sur d'où vient ce sentiment et sur ce que ça veut dire vraiment, vivre seul·e.

Qu'est-ce que ça veut dire de vivre à deux ?

Parce que ma partenaire et moi avons vécu de nombreuses années dans des pays différents, avant même de penser à remettre en question le trope de la vie en couple dans un foyer commun, j'ai vécu seul·e pendant près d'une décennie.

Certains semblent trouver ça terrible comme constatation, mais ce n'est pas du tout mon ressenti. Vivre seul·e est très différent d'être seul·e. J'ai vécu à proximité de ma famille, de mes ami·e·s, de mes collègues et de mon bureau même, et puis j'ai voyagé, souvent, pour voir mon amoureuse. La solitude n'a jamais été un problème pour moi et n'a jamais vraiment eu le temps d'en devenir un.

Par contre j'ai vécu seul·e, chez moi, pendant tout ce temps. J'ai été très surpris·e de découvrir que pour certaines personnes, l'idée de vivre seul·e est effrayante. A ma grande tristesse, souvent pour des femmes, qui n'ont jamais eu l'occasion de le faire et croient, à tort, qu'elles n'en seront pas capables. C'est à mon avis encore un symptôme de la malheureuse tendance de notre société à penser que les femmes ne sont pas assez fortes, pas assez débrouillardes, pas capables de faire face aux imprévus de la vie. C'est assez amusant d'en arriver à la conclusion qu'une personne qui est capable de faire tourner parfois à elle seule un foyer de deux personnes ou plus risque de soudain se retrouver démunie parce qu'il y a simplement moins de personnes à gérer à la maison !

S'il est merveilleux de cohabiter avec quelqu'un·e qu'on apprécie, et terrible de partager son toit avec des gens toxiques, la vérité est que l'acte de vivre seul·e est un plaisir et une fin en soi, ainsi qu’un un apprentissage très utile.

Vivre seul.e permet d'apprendre à vivre seul·e. Merci de m’avoir lu·e ! C'est à dire qu'on apprend tout simplement à s'occuper de son chez-soi, depuis faire ses courses et lancer une machine à laver jusqu'à relancer le disjoncteur ou appeler un·e plombier·e en cas d'imprévu. Dans certains cas, ça ne fait pas de mal, pour éviter de passer d'un endroit où les parents s'occupent de tout pour nous à un autre où un·e conjoint·e bienveillant·e gère tout car "moi je ne sais pas faire correctement". Apprendre à être autonome, à s'occuper de son chez soi et de soi-même devrait être une évidence, alors qu'on trouve toujours des personnes capables de revendiquer fièrement leur incapacité confondante à utiliser un aspirateur, comme si c'était un titre de noblesse. Il est pourtant nettement plus agréable et moins stressant de savoir qu'on peut se débrouiller seul·e, pour soi comme pour les autres.

Et d’ailleurs ça permet de se rendre compte que, oui, on sait faire, en fait, oui des fois les imprévus arrivent, mais on a réussi à s'en sortir par le passé et on réussira dans le futur. C'est un excellent apprentissage pour contrer l'idée qu'on serait dépendant·e de l'autre dans le couple et qu'on ne pourrait pas s'en sortir par soi-même, qui est la porte ouverte aux relations toxiques. Avoir confiance en soi et ses capacités ne peut qu'amener à des relations plus saines et équilibrées avec son, sa ou ses éventuel·les partenaires de vie.

Bien sûr il y a aussi des cas où vivre seul·e est une impossibilité ou est très difficile, pour des raisons matérielles ou parce qu’on a un ou des handicaps, physiques ou mentaux, qui nécessitent une assistance. Là encore il faut relativiser l’impossibilité : ce n’est pas innocent de présenter comme seule alternative de devoir cohabiter avec d’autres personnes, que ce soit bon ou pas pour notre bien-être, là où plus de ressources financières ou de programmes d’aide à domicile permettraient au moins d’avoir le choix.

Par ailleurs, avoir l'opportunité de vivre seul·e, c'est également le précieux privilège d'avoir du temps pour soi. Ce n'est pas égoïste de bénéficier de temps pour apprendre à se connaître et faire un travail d'introspection sur sa personne. On agit différemment lorsqu'on est avec d'autres gens, même si ce sont des proches ou des connaissances bienveillantes. On va forcément à un certain niveau s'adapter au groupe, s'ajuster. Il y a un surprenant nombre de personnes qui n'ont jamais eu l'occasion de vivre seules et qui n'ont jamais vraiment eu l'occasion de découvrir qui elles sont une fois livrés à elles-mêmes. Qu'est-ce qu'on aime vraiment faire, si on a le choix ? Comment se comporte-on, si le résultat de nos actions n'impacte que nous ? Dans quelle zone est-on véritablement confortable, quelles activités préfère-t-on faire ? Si on n'a pas eu la chance de pouvoir découvrir tout ça, on on prend le risque de ne pas apprendre à connaitre ses propres limites, et de vivre peut-être avec un mal-être que l'on sera incapable d'analyser, ou qui nous mènera à craquer et entrer en conflit avec notre entourage.

Bref vivre seul·e a pleins d'avantages objectifs. Mais ça ne doit pas nous faire oublier cette vérité qui va peut-être en faire grincer certain·es des dents : vivre seul·e est en soi loin d'être désagréable !

Encore une fois, il ne faut pas faire l'amalgame entre vivre seul·e et solitude. L'isolement, le manque de relations épanouissantes, s'ils n'affectent pas tout le monde de la même façon peuvent être un problème bien réel. Cela a cependant peu à voir avec son mode de vie; on peut d'ailleurs vivre dans une famille nucléaire classique avec un·e conjoint·e violent·e, ou des parents toxiques, et être profondément seul·e et en souffrance.

Je ne vais pas vous faire la liste des joies délicates de quiconque a la possibilité d'arranger son appartement à son goût, de s'assurer que tout restera rangé à son idée, du bonheur de manger de la comfort food devant la télé à des heures absurdes si ça nous chante, d'afficher ce poster grandeur nature de Cara Delevingne dans le salon parce que ça nous fait plaisir, et de simplement avoir l'opportunité de vivre selon ses propres horaires et son propre rythme (mais je le fais quand même, celleux qui savent, savent).

Il est bon d'avoir un espace où l'on peut-être soi-même, où on peut se replier, se reposer, "démasquer" pour les plus neuro-atypiques d'entre nous. Un endroit sûr qui permet de se recharger et reprendre des forces. Ce n'est pas pour rien après tout que de nombreux·ses super-héroïnes et super-héros ont leur propre "base" où ielles conservent tous leurs secrets ! Un lieu où ielles n'ont ni à cacher leur identité, ni à performer un rôle public. C'est encore une fois une façon salutaire de prendre soin de soi-même et de sa santé mentale.

Au-delà du bien-être personnel, avoir son propre espace est également indispensable pour pouvoir travailler et mener à bien ses propres projets. C'est même une notion si centrale qu'on la retrouve depuis le plus basique des livres de développement personnel pour aspirant·e startupeureuse jusqu'au classique de Virginia Wolf "Une chambre à soi", dont c'est un des thèmes qui est le plus resté en mémoire. Avoir son propre espace permet de mettre des limites, quand c'est nécessaire, entre soi et le monde extérieur.

Ce qui nous fait toucher du doigt les raisons pour lesquelles il est parfois si mal vu de décider d'habiter seul·e. La société telle qu'elle est construite de nos jours, plutôt patriarcale, capitaliste, encourage fortement la composition de foyer nucléaires (le fameux couple de parents monogames si possible cis-hétérosexuel, avec des enfants). De nombreux·ses autrices et auteurs ont analysé les dynamiques de pouvoirs qui en résultent mieux que moi. Beaucoup de gens trouvent leur bonheur dans ce modèle et l'idée n'est pas de le critiquer en tant que tel, mais plutôt de remettre en question l'idée qu'il serait le seul modèle valable. Forcer un mode de vie sur des gens pour qui il n'est pas adapté, a tendance à créer beaucoup de ressentiments et de foyers malheureux. Ce n'est pas innocent dans le sens où cette organisation va bénéficier à certaines catégories de population au détriment des autres, que ce soit au sein du foyer même ou à un niveau plus sociétal.

Ce type de modèle a tendance en particulier à générer une importante source de travail gratuit, et généralement au détriment des femmes, puisqu'il est souvent attendu d'elles qu'elles assument non seulement une part importante du travail domestique mais également une part majoritaire de ce qui touche au soin à la personne, depuis l'éducation des enfants jusqu'aux soins prodigués aux membres plus âgés ou moins autonomes de la famille. Même lorsqu’elle n’est pas assumée par un membre de la famille, les métiers qui prennent le relais, sont souvent malheureusement mal considérés et encore plus mal rémunérés.

Pourtant c’est un travail primordial dans le bon fonctionnement de notre société, et qui est loin d’être anodin : si les femmes décidaient de ne plus l’assumer bénévolement, cette charge de travail aurait un coût financier important ou serait redistribuée à celleux qui en étaient jusque là dispensé·es. Dans tous les cas, il y a un manque à gagner, en argent ou en temps, pour des catégories de population qui en profitent actuellement.

Décider de vivre seul·e c'est dire à la face du monde que l'on vit et que l'on existe d'abord pour soi, et non pas uniquement comme part d'une relation à autrui (épouse, mère, ou tout autre rôle derrière lequel nous serions censées nous fondre). C'est une manière d'affirmation de soi et de sa propre existence, en tant que sujet et individu souverain.

Cela veut dire, en particulier pour une femme, qu'on refuse le rôle archétypal que la société voudrait nous attribuer, qui consiste à faire passer les besoins des autres avant les siens.

Et cela signifie également, de part la façon dont la société est organisée actuellement, une perte nette d'avantage pour une partie de la population. Politiquement parlant, cela peut même être vu comme un acte salutaire de remise en cause du système et de la distribution des pouvoirs.

Beaucoup de gens vont beaucoup plus s’épanouir en vivant seul·e, et peut être apporter plus au reste du monde en étant une personne bien dans sa peau, avec du temps pour travailler sur ses propres projets. Contrairement aux idées reçues et au modèle généralement accepté, ce n'est pas une fin en soi de finir en couple ou dans un foyer nucléaire, deux parents avec un enfant. Les variations sont infinies et riches de nuances. En revanche, quelque soit la façon dont on choisit de vivre, je pense qu'en effet tout le monde gagnerait à s'autoriser une période de temps dans sa vie pendant laquelle iel pourrait vivre seul·e. Et quelque soit le mode de vie que l'on choisit et la façon dont notre foyer est composé, il serait temps d'accepter qu'il y a autant de modèles que de gens dans le monde, et arrêter de stigmatiser ceux qui s'éloignent de la norme.

Auteur·rice·x·s