Retour d'experience de mon vécu de femme trans pré et post coming-out. Comment les interactions avec les gens ont changé avec mes utilisateurices que ce soit en présentiel ou par Teams ?
Depuis que j'ai découvert l'informatique, du moins la programmation, quand j'avais 12 ans, j'ai tout de suite su que je voulais en faire mon métier. Quarante-deux ans plus tard, c'est toujours mon métier. Un métier passion. Je ne vais pas vous parler de comment j'ai vu l'informatique évoluer, mais plutôt de ces 10 dernières années. Deux raisons à ça. La première c'est qu'il y a presque dix ans je changeais d'employeur et la seconde c'est que je n’en a pas changé depuis. Idéalement il eût été bien que j'en change l'an dernier, pour moi, mais ça m'aurait aussi permis d'avoir une autre vision. Vous vous demandez sûrement où je veux en venir. Ceci dit, je me doute que vous avez bien une petite idée. Il se trouve que j'ai fait mon coming-out trans il y a 3 ans, à la fois dans la sphère privée et dans la sphère publique. Le 3 janvier 2021, j'envoyais un mail aux 350 autres employé·es de l'entreprise pour leur dire que désormais j'étais Mme Gwendoline Fichant. Un mail. Beaucoup de changements. L'intérêt de ne pas avoir changé d'employeur, c’est que ça me permet de voir la différence entre avant et après mon coming-out sans le facteur changement d'entreprise. Ceci dit, il aurait pu être intéressant de comparer avec comment ça se passe dans une entreprise où j'ai toujours été socialement une femme.
Je suis rentrée dans cette entreprise en août 2015, en tant qu'I/T Architect. Auparavant j'avais passé 18 ans dans une très grande multinationale informatique. J'ai été embauchée pour mes compétences, mon expérience. On n’en attendrait pas moins. J'ai occupé plusieurs fonctions dans cette entreprise au fil des années. J'ai travaillé à la détection de la fraude, à la direction technique, à l'architecture d'entreprise, et pour finir à l'usine logicielle pour les environ 500 développeureuses du groupe, qui se répartissent principalement entre la France, la Tunisie et la Bulgarie. Pendant toutes ces années mes compétences ont été reconnues, tant par les missions critiques qui m'ont été confiées que par l'évolution de mon salaire et les évaluations. Bref j'étais reconnu par mes pairs et par ma hiérarchie. J'étais régulièrement convié à des réunions avec les décideurs de l'entreprise, voire avec le PDG. On me demandait mon avis. Ça ne veut pas dire que j'ai toujours été entendu, mais au moins j'étais écouté.
On m'a aussi proposé de donner des formations techniques, d'apprendre à nos développeureuses les bonnes pratiques, d'initier les employées du métier historique au développement, et de donner des cours de génie logiciel en Master informatique.
Logiquement, quand j'ai fait mon coming-out, mon boulot n'a pas changé. J'ai continué à donner des cours, à dispenser des formations, à m'occuper de l'usine logicielle, à fournir du support aux devs.
D'ailleurs je vous ai dit que j'avais juste envoyé un mail. En fait, j'avais fait un premier coming-out à mes collègues de boulot les plus proches : deux jeunes dont un·e encore en alternance à l'époque. "Cool. Je suis bi, iel est non-binaire. Bienvenue au club. On va arroser ça ?". Je vous dis pas comme j'étais rassurée. Ça s'était aussi super bien passé avec mon chef de l'époque : "Ça va changer quelque chose à ton boulot ? Non ? Nickel."
Ensuite j'en ai parlé avec la DRH. Au début je voulais faire un pot de départ juste avant mes vacances de Noël avec un pot de bienvenue au retour où je leur dirais "Voilà maintenant c'est Mme Gwendoline Fichant". Mais on était encore en plein COVID, donc on a abandonné l'idée de regrouper les collaborateurices dans un même lieu fermé. On a fini par opter par le mail. On a aussi convenu que dès le jour J (le 3 janvier 2022) j'utiliserais les WC et les vestiaires féminins. D'ailleurs le jour J venu, l'I/T interne avait procédé à mon changement d'email, de nom dans l'annuaire, à la modification de mon badge et sur mon bulletin de paye de janvier 2022 il était écrit "Mme Gwendoline Fichant". Globalement c'est passé comme une lettre à la poste, ou devrais-je dire comme un mail dans Outlook. Il y a bien eu quelques couacs (mes tokens qui étaient liés à mon ancien username ne fonctionnaient plus suite au changement d'identifiants dans l'Active Directory). Même si j’avais mis un lien vers le wikitrans, j'ai bien eu quelques questions intimes genre "tu vas te faire opérer ?" (mais aucune sur mon deadname 1 bizarrement). Les gens ont été très respectueux, beaucoup de collègues femmes m'ont accueillie avec bienveillance, alors que je ne les connaissais pas spécialement. Certaines sont même devenues de véritables amies et soutiens.
Le seul vrai problème que j'ai rencontré, c'est quand une personne, très proche du PDG, qui ne faisait pas de sport, est allée se plaindre que ma présence dans les vestiaires la dérangeait. Résultat j'ai dû me changer dans les WC PMR pendant 10 mois, le temps de préparer ma requête en changement de sexe et d'état-civil et d'obtenir ma carte d'identité au nom de Mme Gwendoline Fichant. Et encore j'ai eu de la chance, le jugement est passé en 3 mois sans que j'aie eu à comparaître devant un·e juge. Une petite pensée à Emmanuel Macron et sa sortie transphobe sur le changement d'état-civil.
Quand j'ai fait mon coming-out nous étions dans mon entreprise environ 350 employé·es en France et une cinquantaine en Tunisie. Entre-temps le groupe a racheté une société bulgare afin de développer notre offre et d'avoir environ 250 développeureuses à bas coût sur le sol européen.
Et là, j'ai commencé à voir une différence entre avant et après mon coming-out. En effet, jusque-là, tout le monde me connaissait d'avant. À aucun moment mon coming-out n'a remis en cause mes compétences ou mon professionnalisme.
En revanche les nouveaux venus, qui ne m'ont pas connue avant, n'ont pas toujours eu cette attitude.
Sur ma photo de profil dans l'annuaire d'entreprise, j'ai un bon passing, des cheveux blonds et fait plus jeune que mon âge. Tous les ingrédients pour vivre du sexisme. Jusqu'alors je n'y avais pas été confrontée dans le monde du travail. J'étais socialement un homme, blanc, mince, hétéro, marié, bon salaire. Bref que du rêve. J'étais pleinement consciente que le sexisme existait. Juste je ne l'avais jamais vécu. Savoir que ça existe et le vivre sont deux choses bien différentes.
J'ai rapidement coché plein de cases du bingo sexiste au boulot :
Fun fact, pas fun du tout. Entre le moment où je suis entrée dans cette entreprise et aujourd'hui, toutes les autres développeuses sont parties. La plupart pour les mêmes raisons : un management misogyne ("j'ai pas de temps à perdre à expliquer à une femme", "les femmes sont pas faites pour faire de l'informatique", isolement au sein des équipes majoritairement masculines, etc...)
J'ai aussi bien vu la différence quand j'ai des demandes de support. Lorsqu'il s'agit d'un développeur c'est genre "Gwen ça marche pas !", et quand c'est une développeuse on est plutôt sur du "Bonjour Gwen, j'ai un souci sur tel job. J'ai cherché ici, ici et là mais je ne trouve pas de solution à mon problème. Quand tu auras le temps, pourrais-tu regarder et me donner des pistes ?". J'avais déjà remarqué que les développeuses faisaient plus d'efforts avant de venir demander de l'aide. Sûrement parce qu'elles sont plus ou moins obligées d'en faire plus pour prouver qu'elles sont au moins aussi capables que leur homologues masculins, surtout quand on sait qu'elles sont toutes en Tunisie ou en Bulgarie. Hormis moi, il n'y a plus qu'une autre développeuse en France (sur une cinquantaine de devs). Il y a d'autres femmes proches de la tech, mais elles sont peu nombreuses (7 sur une petite centaine d'employé·es dans l'édition logicielle) et à des postes de responsable qualité, tests, user experience ou communication. On est sur du "care".
Depuis un an, on m'a adjoint les services d'un Bulgare, qui est censé m'aider. C'est pas un mauvais gars, mais je vois bien que quand c'est moi qui lui dis des choses ça a moins d'impact que mon "chef" et collègue masculin. Il faut toujours que je me justifie quand je lui dis quelque chose. Il y a aussi des choses auxquelles je ne m'attendais pas, comme des demandes de conseils de drague, d'analyse de mes tenues vestimentaires. Même si de prime abord ça flatte l'égo en mode "il me voit vraiment comme une femme", il n'empêche que jamais je n'aurais osé aborder une collègue pour ce genre de chose et je me suis sentie très mal à l'aise. Je passe sur le fait que dernièrement il a insisté lourdement pour connaître mon deadname, même quand je lui ai expliqué que c'est personnel et que ça ne le regarde pas. Des collègues femmes ne disent de faire remonter aux RH car c'est du harcèlement. N'y en jamais était confrontée personnellement, je ne me rends pas compte. J'en ai parlé à mon N+1.
Une autre chose qui est apparue, c'est le paternalisme. Ça fait bizarre à plus de 50 ans. Je ne m'y attendais pas. Certains de mes collègues, ont une attitude envers moi comme si j'avais 20 ans, que je ne connaissais rien, que j'avais besoin qu'on prenne soin de moi. Oui j'aime qu'on prenne soin de moi, mais pas comme ça. Pas au boulot. Déjà assez avec mon père qui me traite comme ça (même si je peux avoir ma part de responsabilité, plutôt de ne pas avoir été à la hauteur de ses espérances). Ils sont capables de me voir comme une chose fragile, mais ont été incapables de prendre de mes nouvelles quand je suis revenue après mon arrêt pour burn-out. Même pas un "ça va ?". D'ailleurs j'ai été surprise. Un collègue que j'avais étiqueté comme connard probablement transphobe, a été un des seuls hommes à prendre de mes nouvelles. Moi qui le voyait comme un terminator, c’était en fait un gars bourré d'empathie qui porte une armure au boulot.
Quand je me relis, je trouve tout ceci très décousu. Je voulais faire un article qui montre comment le monde de la tech est sexiste (il est aussi violent mais j'ai la chance de ne pas avoir été exposée/victime à celle-ci), et je me retrouve à vous livrer un témoignage.
De mon vécu, et pour en avoir parlé avec d'autres femmes, il fait pas bon du tout être une femme dans la tech. Nous sommes toujours remises en cause, nos compétences ne suffisent pas, nous devons toujours prouver que nous sommes au moins aussi capables que nos collègues masculins.
To be honest, j'appréhende énormément d'avoir un jour à changer de boulot. Mon boulot actuel n'est pas aussi bien que je le souhaiterais, mais au moins j'y suis relativement protégée. Et puis syndrôme de l'impostrice oblige (suis-je d'ailleurs légitime en tant que femme trans à parler au nom de femmes cis ?), je ne me sens pas d'aller postuler ailleurs : est-ce que j'ai vraiment le niveau qu'on attend de moi ?
PS : fun fact, le correcteur automatique de Google Docs considère que le mot “développeuse” n’existe pas, et me propose “développeur” à la place... On a pas la chatte sortie des ronces ...
Le deadname, appelé aussi morinom. Il s'agit du prénom qui avait été attribué à la personne à sa naissance. D'une manière générale, on ne demande pas d’informations concernant la vie d’avant la transition d’une personne trans. Il s’agit d’informations privées que vous n’avez pas besoin de savoir. Revenir au note n°1