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Se servir de sa langue II

Parlons de la construction du masculin...

Dans la première partie, j’ai parlé du fait que la langue était un vecteur des représentations genrées et j’avais même abordé brièvement l’usage du féminin comme dévalorisation, et c’est ce point que j’ai envie d’élargir aujourd’hui, pour son opposé binaire, le masculin.

Origine des masculinity studies

D’après les revues La construction du masculin, De la fin du 19e siècle aux années 1930 d’Odile Roynette-Gland, L'identité masculine et les fatigues de la guerre (1914-1945) de Luc Capdevila, qui citent des passages de 20 & 21. Revue d'histoire, le masculin est peu voire pas étudié avant les années 80.

[…] l’ampleur et la variété des domaines de recherche concernés par cette quête restent dissuasives, c’est aussi la nature de l’objet qui a sans doute longtemps tenu à l’écart une communauté historienne dominée par des hommes peu soucieux, en conformité avec les modèles dominants, d’examiner les fondements de leur propre identité. — Odile Roynette-Gland, La construction du masculin, De la fin du 19e siècle aux années 1930.

Les identités sexuelles, durant les guerres, ont souvent été abordées du seul côté féminin, laissant dans l’ombre l’autre sexe. — Luc Capdevila, L'identité masculine et les fatigues de la guerre (1914-1945)

(On note l’usage un peu malheureux de sexe au lieu de genre dans cet extrait).

C’est d’ailleurs souvent les impulsions féministes qui ont porté les questions de genre, ce qui semble assez normal vu que c’est avant tout une question de survie dans une situation d’oppression constante.

[…] qui explique que ce soit plutôt du côté de l’histoire des femmes qu’émerge au cours des années 1980, grâce à la catégorie du genre, une approche soucieuse de lier la construction sociale des rôles féminin et masculin pensés symétriquement. — Odile Roynette-Gland, La construction du masculin, De la fin du 19e siècle aux années 1930.

Le silence des hommes sur les études concernant la construction du masculin, avant ces années, peut s’expliquer d’ailleurs par la préservation et le renforcement systémique d’une hégémonie masculine. Moins on questionne le genre, moins on apporte de nuances, moins on permet l’émancipation de tout ce qui ne constitue cette masculinité standardisée.

En effet, il n’y a non pas une mais des masculinités, et les traits que l’on choisit de placer comme « standards d’idéal masculins » ne sont finalement, que des choix systémiques arbitraires qui vont venir placer les êtres humains sur une échelle de dominance au sein de la société.

Les masculinity studies sont justement crées en réaction à l’essentialisme de la binarité de genre (surtout du masculin) qui étaient alors omniprésentes dans les sciences sociales de l’époque (et encore de nos jours, dans le monde médiatique).

La construction du masculin | Cairn.info

L'identité masculine et les fatigues de la guerre (1914-1945) | Cairn.info

Revue 20 & 21. Revue d'histoire | Cairn.info

Par opposition au féminin

Parce qu’elle revêt une dimension excluante, la construction masculine hégémonique va alors plutôt se tourner vers la définition de ce qu’elle n’est pas (on définit précisément ce qu’on exclu, plutôt que de s’embarrasser de définir ce que l’on est).

La transition du physique au moral, inscrite dans la logique de la médecine néo-hippocratique, permet la mise en valeur par opposition à la passivité de la femme des attributs masculins. L’activité, la vigueur, la force, la résistance à la fatigue et à la souffrance ainsi que le courage définissent des normes de virilité qui se concentrent sur le visage, miroir des émotions, et tout particulièrement sur le regard qui doit exprimer la force de caractère comme sur les yeux qui doivent refréner les larmes, surtout si elles apparaissent en public. — Odile Roynette-Gland, La construction du masculin, De la fin du 19e siècle aux années 1930.

Et c’est ainsi l’origine de la féminisation comme moyen de dévalorisation, car finalement, tout ce qui n’est pas le standard viril, tombe donc dans « la déchéance féminine ».

D’ailleurs depuis 1870 on assiste également à un nouveau type d’oppression féminine, qui va, procéder à exclure et refuser progressivement les femmes de milieux qui seront alors purement masculins.

À ce titre, le 19e siècle voit s’affirmer le processus de retrait progressif des femmes de l’univers des combattants alors que celles-ci étaient encore présentes à l’époque moderne, […] La guerre de 1870 puis la première guerre mondiale accentuent cette évolution en universalisant progressivement l’expérience du feu à l’ensemble des hommes en âge de combattre, au détriment des femmes qui sont progressivement écartées des rôles qui leur étaient autrefois dévolus au sein des troupes. — Odile Roynette-Gland, La construction du masculin, De la fin du 19e siècle aux années 1930.

Avant le second conflit mondial, les exemples de femmes combattantes […] renvoient tous à un engagement guerrier de substitution qui les tient à l’écart du champ de bataille proprement dit alors que le franchissement de la frontière du genre s’effectue avec moins de difficultés lors des guerres civiles, la guerre d’Espagne notamment . La participation directe à la violence de guerre (donner ou recevoir la mort) dans un cadre étatique devient au début du 20e siècle, un critère qui distingue de manière plus nette que naguère hommes et femmes. — Odile Roynette-Gland, La construction du masculin, De la fin du 19e siècle aux années 1930.

C’est donc une mouvance volontaire qui a progressivement effacé les femmes des milieux qui deviennent alors masculins, notamment du prestige militaire.

Par domination du féminin

Si une première étape de la construction hégémonique est d’exclure et de rendre inaccessible certains postes de prestige ou de pouvoir, une deuxième étape est la domination. Ce qui est exclut et dévalorisé apparaît alors déshumanisé, objectifié et donc disposable, contrôlable, dominable.

Progressivement on va entendre une sémantique “naturelle", il devient "naturel” que l’homme soit plus fort, plus compétent que la “simple" femme, et donc “naturel” qu’il domine… Ce sont des ressors d’ailleurs employés dans les autres axes d’oppressions, comme par exemple le colonialisme, les oppressions sur les personnes LGBT+ et le validisme.

De là, être un homme, viril, passe par la domination des femmes (et par extension de tout ce qui est perçu comme non-homme), à titre d’exemple, mais non exhaustif, une des manifestations de cette domination passe par la domination sexuelle.

En milieu bourgeois, l’évocation des prouesses sexuelles réalisées au bordel, objet d’une comptabilité plus ou moins fantasmatique, cache mal une peur grandissante des femmes qui s’affirme à la Belle Époque. — Odile Roynette-Gland, La construction du masculin, De la fin du 19e siècle aux années 1930.

C’est ainsi qu’un homme sera d’avantage admiré pour ses nombreuses relations sexuelles, alors qu’une femme se libérant sexuellement sera perçue négativement, normal, puisqu’elle s’approprie dès lors un privilège masculin. Dans les débats modernes, on le retrouve en ligne sous la forme du fameux “bodycount” :

Post Twitter : vrai question ça change quoi enft 23 ou 50 ou 0 (a part votre insécurité masculine bien sûr)???

C’est une pièce à double facettes :

  • Face, c’est une représentation de la domination masculine, tout ce qui n’est pas un homme viril dominant n’a pas le droit d’avoir ses privilèges (sexuels ou autres)
  • Pile, c’est aussi une démonstration de la fragilité de cet égo masculin dominant qui doit correspondre à ces attentes, peut importe son propre rapport à sa sexualité

Et d’ailleurs, pour tracer un parallèle avec les autres oppressions systémiques, on peut aussi se demander si on est un homme hétéros cis blanc ou une catégorie YouPorn…

Une note importante, la domination sexuelle n’a pas vraiment de rapport avec la sexualité, d’ailleurs, c’est une violence systémique. Les catégories dominantes comme dominées n’ont

Ce que je prends ici à travers la sexualité n’est qu’un des aspects et d’ailleurs, je renvoie aussi à ces articles :

https://dialoguesavecmonpere.wordpress.com/exemples-du-privilege-masculin/

qui est une traduction partielle de ce dernier :

https://everydayfeminism.com/2016/02/160-examples-of-male-privilege/?utm_content=bufferbd083&utm_medium=social&utm_source=facebook.com&utm_campaign=buffer

Je cite par exemple quelques extraits :

  1. On ne t’apprend pas que ta sexualité existe seulement pour autrui, et tu n’es pas stigmatisé parce que tu te masturbes.
  1. Les médias, les conseils sur le sexe et la définition du sexe se concentrent avant tout sur ton plaisir, surtout si tu es hétérosexuel et cisgenre
  1. Tu peux repousser un.e prétendant.e sans t’inquiéter d’être attaqué verbalement ou physiquement.

Et dans d’autres domaines (à titre d’exemples) :

  1. Tu peux être énervé ou triste au travail sans que les gens l’attribuent à des « hormones » ou à de « l’hypersensitivité »
  1. Tes échecs ou erreurs au travail ne sont pas vues comme une preuve que les personnes de ton genre ne devraient pas faire ce métier. C’est particulièrement visible dans les milieux majoritairement masculins ou les postes hiérarchiques supérieurs.

Je n’ai fait que présenter un début de réflexion sur la construction de la masculinité par opposition au féminin et à ses manifestations justifiant une dominance hégémonique, par des exemples, des études ou des témoignages de blogs. Mais j’espère que cela apporte quelques départs de recherches ou plus d’arguments pour comprendre ces effets sur les dynamiques systémiques.

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