La Première Ligne est écrite ❤️🔥 La troisième édition du magazine est disponible !
Camille a été invitée à participer à cette seconde édition de La Première Ligne et a choisi d'aborder le sujet de la sororité et de comment elle n'est pas acquise pour toutes.
Camille a été invitée à participer à cette seconde édition de La Première Ligne et a choisi d'aborder le sujet de la sororité et de comment elle n'est pas acquise pour toutes.
Elle se présente ainsi : Je suis une cheminote queer, militante syndicale, anticapitaliste et féministe toutes options (antivalidisme, anti grossophobie, anti raciste...). J'essaye d'articuler les revendications du monde du travail avec une vision féministe de la lutte. Si vous avez envie de me suivre et de discuter avec moi, j'ai une page Instagram : Camo Mille (camomille.rouge)
Une des notions importantes à la majorité des mouvements féministes est celle de la sororité, de la solidarité entre femmes. Pourtant, plus le temps passe et plus celle-ci me semble limitée. Limitée parce qu’elle se réduit souvent à une vision non intersectionnelle des femmes, comme si celles-ci ne pouvaient pas être concernées par d’autres oppressions que celle basée sur le genre. C’est aussi vrai concernant l’idée que si les femmes relationnaient entre elles, en choisissant le lesbianisme politique, elles ne vivraient plus de violences car celles-ci résideraient dans le couple hétérosexuel.
Sauf que… Sauf que depuis mon plus jeune âge, j’ai appris par de douloureuses expériences que de côtoyer uniquement des femmes ne faisait pas disparaître de manière magique la violence que je subissais. Au contraire même, le centre équestre que je fréquentais était un relais des agressions que je vivais au collège, alors que l’écrasante majorité des cavaliers étaient des cavalières. Les garçons étaient anecdotiques, ou seulement présents lors des concours du dimanche, venant d’autres structures.
J’ai passé ma vie à essayer de comprendre comment arriver à être acceptée par la société, quelles étaient les règles qui m’échappaient et menaient inexorablement à ce que celles et ceux qui m’entouraient en viennent à s’en prendre à moi. Ça avait commencé en milieu de primaire, je devais avoir à peine 7 ans. Mes ami·e·s me faisaient comprendre qu’iels ne voulaient pas de moi dans la cour de récré. Quelques années plus tard et dans une école différente, le schéma s’est reproduit. Puis, au collège, est venu le harcèlement très vite quotidien, couplé à un isolement social profond. Il s’est cristallisé sur mon supposé surpoids. Tous les jours, de manière indifférente entre garçons et filles, je me prenais des remarques, des insultes, des moqueries, des boulettes de papier, du rejet. Je sombrais dans le désespoir d’être seule, tout en n’arrivant pas à créer du lien avec quelqu’un·e d’autre de manière pérenne. Et cela jusqu’en 1ère, année pendant laquelle j’ai rencontré celle qui est devenue ma meilleure amie et qui était aussi dans son propre monde.
J’ai essayé de m’expliquer cette situation de rejet, et pendant des années j’ai pensé que c’était parce que j’étais grosse, comme tout le monde me le disait (alors qu’à l’époque du collège j’étais lourde, oui, mais pas plus grosse que la moyenne). Sauf que je ne m’expliquais pas ce sentiment de décalage constant. Comme si j’étais à côté de la société, comme si je l’observais de manière extérieure. Les rôles sociaux, très genrés – encore plus au collège, n’avaient aucun sens pour moi. Ils n’étaient pas logiques.
L’année de mes 8 ans, j’avais eu un diagnostic de HPI – notion très critiquable mais ce n’est pas l’objet de ce texte. J’ai tenu pendant des années sur ce diag comme explication de ces différences entre elleux et moi. Sauf que, des dépressions plus tard et plus de connaissances sur la psychologie humaine m’ont menées à me rendre compte que même dans l’éventualité où j’étais plus « intelligente » que la moyenne, cela n’expliquait pas pourquoi je me sentais extraterrestre au milieu des gens « normaux ».
À 27 ans, je découvrais avec pas mal d’étonnement que j’étais autiste avec option trouble de l’attention avec hyperactivité. Il m’a fallu quelques semaines pour revoir ma vie morceau par morceau, comprenant enfin les difficultés sociales que j’avais eu jusqu’alors. Concernant le TDAH, je n’y ai pas cru au premier abord car je me disais que j’étais grosse et qu’une personne hyperactive dépensait beaucoup d’énergie, et donc ne pouvait qu’être mince. La grossophobie intégrée peut aller loin…
De plus, depuis l’âge de mes 21 ans, je suis une personne bisexuelle out, avec une tendance à le dire à la première occasion comme si j’avais besoin que la Terre entière soit au courant. Ce qui n’empêche pas de nombreux proches de ne pas vraiment y croire, comme si la bipansexualité n’existait pas. Faudrait-il que j’embrasse un homme, une femme ou une personne minorisée de genre en même temps devant de nombreux témoins pour qu’une fois pour toutes, le public soit convaincu ?
Pour ajouter à la confusion, j’ai des doutes sur mon genre assigné depuis le milieu de mon adolescence. Et progressivement au cours de ma vingtaine, je me suis sentie de moins en moins à l’aise avec le mot femme comme définition de qui je suis. Déjà, la binarité de genre a peu de sens pour moi de manière générale, encore moins quand elle me concerne. Cela fait plusieurs années que malgré mon sentiment profond d’illégitimité, j’ose me dire non-binaire, ou femme queer. Pas que la féminité soit absente de qui je suis, mais elle en est une composante uniquement. Mon genre est un patchwork d’identités, mouvantes dans le temps. Ne pas me dire uniquement femme m’apaise tellement.
Cependant, parce que le choix de vêtements pour les personnes dont la taille dépasse le 48 est très réduit, je ne peux pas m’habiller comme je le souhaite, je ne peux pas exprimer mon genre comme j’aimerais le faire par ce biais. Il existe peu de mode non genrée, ou alors ce sont des habits qui ne sont pas taillés pour des corps non minces, avec des formes. Ils ne me vont pas.
Depuis mon adolescence, je rêve d’avoir un corps plus « neutre », moins genré, plus mince. J’ai longtemps pensé que c’était parce que je ne voulais pas être grosse. Je ne voulais pas avoir ces rondeurs, de hanche, de poitrine, de fesses. Et si ce besoin d’avoir un corps plus androgyne n’était pas que le fruit de ma propre grossophobie mais aussi de ma non-binarité ? Je me sens parfois enfermée dans mon enveloppe corporelle qui peut être le fantasme de nombreux hommes, ce qui me rend profondément mal à l’aise. J’aimerais être une personne et non un genre, non sexualisée, sauf quand je le souhaite.
Toutes ces particularités, de genre, d’orientation sexuelle, de morphologie, de fonctionnement cognitif ont construit celle que je suis à présent, ainsi que le décalage que je ressens partout, tout le temps. Les groupes de femmes, hétérosexuelles et/ou lesbiennes, ne me font pas sentir « safe » parce que le genre n’efface pas les autres violences sociales. Et, paradoxalement, je me sens plus à l’aise dans des groupes mixtes voire à majorité composés d’hommes. Pas que nous ayons plus de points en commun, mais au contraire, comme nous sommes déjà positionnés dans des catégories sociales différentes du fait de notre genre, il y a moins d’attentes qui pèsent sur moi pour que je me fonde dans le groupe. Nous sommes d’office différent·e·s.
Je travaille dans le ferroviaire, en opérationnel, un milieu très masculin. Je milite dans un syndicat, où les femmes se font encore plus rares. Tous les jours ne sont pas faciles, et lorsque je dois expliquer une différence, qui me concerne ou pas (n’oublions pas la classe, la race…), je suis face à une sorte de bloc de personnes qui se ressemblent et ne comprennent pas que leur vision n’est pas universelle. Cependant, j’y trouve un certain équilibre, en nourrissant à côté des relations qui me ressemblent et qui m’enrichissent. Je ne suis plus tout le temps seule. Et avec le temps, j’ai appris à apprécier ma propre compagnie.
Pour finir, je tiens à dire que les luttes féministes, handies, neuroA, antiracistes, anti grossophobie, et j’en passe, sont la seule solution pour faire évolution le système profondément injuste et violent. Ne restons pas seul·e·s et reconstruisons-nous des communautés saines pour changer le monde.