Spice Up Your Life - Radicalisée par les Spice Girls

Comment un girl band britannique a posé chez l'autrice les fondations durable d'un féminisme centré autour de la joie et de la sororité.

Girl band ayant vendu le plus au monde, groupe avec un succès sur son premier album le plus rapide et le plus fort depuis les Beatles, les Spice Girls ont eu un succès commercial indéniable, et tout ça avec seulement trois albums enregistrés et à peine une dizaine d'années d'existence étalées sur presque 30 ans (et rarement au complet). Toute personne pouvant se souvenir de la fin des années 90 ne peut que se souvenir du phénomène Spice Girls. La plupart d'entre nous est automatiquement renvoyé à une nostalgie de cette période à l'écoute des premières mesures d'une de leurs chansons.

On a dit et écrit beaucoup de choses sur les Spice Girls, et il est à parier que 2025 soit une année où on entende encore plus parler d'elles puisqu'on fêtera leurs 30 ans d'existence. Mais il y a une chose qui me semble parfois oubliée et qui pourtant était au centre de leur image, de leurs chansons et de leur succès : elles n'étaient pas uniquement un girl band, elles étaient un girl band féministe et le revendiquaient. Et si on peut se poser la question de jusqu'où allait ce féminisme (qu'elles rebaptisaient Girl Power), ce qui est certain c'est qu'il a marqué toute une génération. Et personnellement, il m'a montré la voie vers quel genre de féminisme je voulais pratiquer.

I'll tell you what I want, what I really really want...

On pourrait faire toute une série d'article sur les Spice Girls, même en se contentant de l'axe militant. On pourrait parler de leurs liens avec la communauté LGBTQIA+ et de comment, à une époque où c'était loin d'être évident, elles ont changé les paroles de 2become1, leur chanson sur le safe sex, pour qu'elle soit inclusive des couples non-hétéros, après qu'on leur ait fait remarquer que la chanson excluait une partie de la population.

On pourrait parler de comment elles n'ont pas choisi leurs surnoms "Baby Spice" (Emma), "Posh Spice" (Victoria) (etc) et de comment Mel B., la seule Spice Girl noire a été nommée par les médias comme "Scary Spice" parce qu'elle était soit-disant bruyante, confrontationale, rebelle (adjectifs qu'on aurait pu donner à d'autres des Spice Girls).

On pourrait parler de comment elles ont complètement retourné le monde des célébrités avec leur insolence et leurs façons bien à elles de renverser les situations, comme quand elles ont enfreint le protocole avec le Prince Charles et l'ont embrassé sur les joues, lui ont pincé les fesses et dit qu'il était sexy... Ou comment des personnes connues hyper respectées se sont déclarées fan d'elles, comme Nelson Mandela qui est allé jusqu'à dire qu'elles étaient ses héroïnes.

Mais ce dont j'ai envie de vous parler aujourd'hui c'est comment une petite fille française a découvert un nouveau style de féminisme à travers ce girl band et comment ça l'a marquée à jamais.

Wanabee, le premier single des Spice Girls, est sorti début juillet 1996. L'album qui contenait cette chanson est sorti en novembre de la même année. A noël, mon oncle me l'a offert. J'avais neuf ans, bientôt dix, j'étais en CM1, et je n'avais jamais entendu parler de ce groupe mais dès que j'ai écouté l'album j'ai adoré. Quelques jours plus tard, j'ai vu le clip de Wanabee et je suis tombée complètement amoureuse de ce groupe. Le clip était un chaos joyeux incroyable, avec une énergie à vous couper le souffle et j'aurais voulu le regarder en boucle un million de fois. (Et l'aurais sûrement fait si on avait été à l'époque de YouTube).

Je ne sais pas exactement pourquoi, mais voir ces cinq meufs débarquer dans un dîner mondain, foutre le bordel en se marrant, ça m'a fascinée. Et à l'époque, je n'avais aucune idée de ce qu'elles disaient dans la chanson, ça n'était même pas un argument, quoi qu'il en soit devenu un une fois que j'ai parlé assez anglais pour comprendre.

Wanabee était un premier single parfait qui donnait dès le départ l'identité du groupe. Il y a tout ce qui a fait, selon moi, le succès de Spice Girls : la sororité (à travers le thème de la chanson), la rébellion (à travers le clip, mais aussi dans les paroles qui inversent complètement ce qu'on entend normalement et où l'intérêt romantique se voir relayé au second plan, après les amies), la destruction des normes traditionnalistes (le clip, mais aussi donc les paroles), et le fun (vous avez pas envie de danser dès que vous entendez cette chanson vous ?).

Et globalement, c'est aussi tout ça qui était leur féminisme, leur Girl Power. Une praxis où on avait le droit d'être exactement ce qu'on voulait être (que ce soit être une meuf en jogging ou une meuf en mini-jupe, une meuf timide ou une extravertie..), dont la sororité était le coeur, et où la rébellion servait à détruire les normes traditionalistes... Le tout avec une vraie recherche de la joie, de l'humour, de passer du bon temps avec les copines tout en détruisant le statu quo.

En 2024, si je devais vous définir mon féminisme, je pourrais tout à fait écrire le paragraphe précédent. J'y ajouterais sûrement une idée de diversité et d'inclusion, de faire la place à toutes les femmes, mêmes les plus marginalisées... Et bien sûr, les Spice Girls étaient très normées (toutes minces, toutes valides, toutes cis, majoritairement blanches, toutes jeunes...), on ne va pas oublier qu'elles ont été créées par une maison de production, elles ont passé des auditions pour faire partie du groupe et ont été très fortement markettées. Mais malgré tout, avec ce principe de personnalités très différentes affirmées, en tant que girl band, elles cassaient complètement les codes et amenaient une diversité qui n'existait pas ailleurs. Alors qu'historiquement les boy band et les girl band étaient toujours habillé·es de la même façon, ne montraient pas de personnalités différentes, au point où iels avaient du mal à trouver une individualité quand iels partaient vers des carrières persos, les Spice Girls ont pris une direction totalement opposée. Elles ont revendiqué leurs différences, en ont fait des forces et des raisons pour lesquelles elles s'aimaient plutôt que des raisons de se rejeter. Elles ont mis en avant leur diversité.

Et en tant que gamine qui avait été élevée dans l'idée que la diversité était une richesse, qui adorait avoir des ami·es très différentes et différents de moi parce que ça me permettait d'apprendre plein de choses, de découvrir le monde différemment, c'est sûrement pas pour rien que ce sont les Spice Girls qui m'ont aussi fortement influencée et pas n'importe quel autre girl band de l'époque.

Smilin' and dancin' all you need is positivity

Je déteste la positivité. Je déteste qu'on me dise que me forcer à sourire va pousser mon cerveau à croire que je suis heureuse et donc me faire sentir du bonheur. Je déteste qu'on me repproche d'avoir des émotions négatives, ou qu'on me dise qu'il faut essayer de s'entraîner à n'en avoir que des positives. Je déteste la théorie de l'attraction et tous les autres trucs qui vont avec le positivisme toxique. Et je suis absolument incapable de tenir un journal de gratitude, ça me donne envie de tout faire péter. 1

Pour autant, je ne suis pas non plus quelqu'un qui recherche la négativité. Je pense qu'ignorer la négativité de ce qu'on vit est absurde et n'est pas la façon dont on arrivera à changer les choses. Pour autant, je crois aussi qu'on a besoin de positivité, on a besoin de douceur, et on a besoin de joie si on veut pouvoir lutter. Ou si on veut pouvoir survivre, tout court, en fait, dans une société qui ne veut pas de nous.

Alors j'essaie de trouver de la joie, dans ma vie en général, mais dans ma lutte, dans mon féminisme en particulier. Et en discutant avec des copaines il y a quelques temps, j'ai réalisé qu'en fait j'ai toujours fait ça. Parce que pour moi, militer ne pouvait qu'amener de la joie. Si ça n'est qu'une corvée, alors c'est impossible. Militer est une part très importante de ma vie, que ce soit en temps ou en énergie, c'est aussi un des moyens que j'ai de relationner avec les gens, s'il n'y avait pas de joie dans cette activité, je ne pourrais pas autant m'investir, je ne tiendrais pas.

Je suis loin d'être la première féministe à se questionner sur la notion de joie dans la lutte, et j'ai d'ailleurs une liste d'ouvrages dans ma pile à lire aussi longue que mon bras qui traitent de près ou de loin de ce sujet. Et honnêtement, je ne suis pas sûre d'avoir encore assez réfléchi au sujet pour pouvoir faire un vrai article de fond dessus... Parce qu'en fait j'ai toujours fait ça plutôt instinctivement. Rechercher la joie dans tous les aspects de ma vie, même les plus compliqués, c'est vraiment quelque chose que j'ai fait toute ma vie. C'est comme ça qu'une fois je suis arrivée aux urgences pédiatriques, incapable de marcher tellement j'avais une crise d'asthme sévère, mais morte de rire parce que l'adulte qui m'amenait aux urgences avait failli m'amener à la morgue. 2 C'est comme ça que j'ai toujours eu comme curseur de surveillance d'un problème au boulot la question de savoir si j'y trouvais de la joie ou pas. C'est pour ça que je fuis instinctivement toutes les personnes qui essaient d'éteindre ma joie.

Et je crois vraiment que pour cette question de la joie dans le féminisme, ce sont les Spice Girls qui ont été mes rôles modèles. Je crois vraiment que leur Girl Power plein de rébellion, de fun, d'exhubérance, de provocation, a créé en moi un modèle d'une lutte qui à la fois ne se prenait pas assez au sérieux pour toujours être grimaçante, et à la fois utilisait la joie pour militer. C'est peut-être ce que j'ai tiré de ce groupe et qui m'a suivi toute ma vie. J'aurais été féministe sans les Spice Girls, je l'étais déjà avant de les connaître, mais je ne sais pas si mon féminisme aurait autant centré la joie et la sororité si ce groupe n'avait pas existé et que je ne l'avais pas découvert à un si jeune âge. Et pour ça, je me sens privilégiée d'avoir été de la génération Spice Girls. 3


  1. Pour autant je n'irais jamais juger les personnes qui pratiquent ce genre de choses. Tant qu'elles n'essaient pas de les forcer sur moi, pas de souci, chacun·e est libre de trouver ce qui lui convient pour tenir dans ce monde. Revenir au note n°1

  2. S'il y a un domaine où on a vraiment du mal avec la joie, voire on la regarde avec suspicion, c'est bien la médecine. D'ailleurs, l'adulte m'accompagnant a dû se fâcher parce que les personnes des urgences du coup me disaient "oh ça doit pas être bien grave si tu rigoles" alors que littéralement elle avait eu très peur que je tienne pas jusqu'à l'hôpital dans la voiture. Revenir au note n°2

  3. Oui bon y a plein d'inconvénients à avoir été de ma génération, laissez-moi au moins cet avantage ! Revenir au note n°3

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